Qubits inédits et prometteurs?

La récente «percée quantique» de Microsoft suscite le scepticisme (update)

par Yannick Chavanne et Joël Orizet et traduction/adaptation ICTjournal

Microsoft a annoncé Majorana 1, une puce quantique reposant sur des qubits topologiques. Après deux décennies de recherche, l’entreprise affirme que cette avancée pourrait ouvrir la voie à des ordinateurs quantiques plus puissants et résistants aux erreurs. Toutefois, la communauté scientifique reste sceptique face à cette annonce.

La puce quantique Majorana 1. (Source: Microsoft)
La puce quantique Majorana 1. (Source: Microsoft)

Mise à jour du 24 février 2025: Microsoft a affirmé avoir franchi une étape décisive en dévoilant Majorana 1, une puce reposant sur des qubits topologiques, réputés plus résistants aux erreurs (lire ci-dessous). Toutefois, la communauté scientifique a accueilli cette annonce avec prudence et scepticisme. 

Dans ses communications, Microsoft affirme que l’étude publiée dans Nature confirme, après un examen par les pairs, que ses chercheurs ont réussi à produire et mesurer de manière fiable des particules de Majorana. Or, dans le protocole d'examen par les pairs (PDF) de l'étude, il est déjà indiqué dans l'introduction: «L'équipe de rédaction tient à souligner que les résultats de ce manuscrit ne constituent pas une preuve de la présence de qubits de Majorana dans les dispositifs rapportés.»

Plusieurs médias ont rapporté les réactions de la communauté scientifique face à cette annonce. Le Wall Street Journal cite plusieurs chercheurs qui regrettent l’absence de preuves tangibles, à ce stade. Contacté par notre rédaction alémanique, Daniel Loss, professeur de physique théorique à l'université de Bâle, se montre également critique. L’expert souligne l'importance de bien faire la distinction entre le dispositif d'étude, c'est-à-dire les résultats de recherche publiés dans Nature, et la puce Majorana 1 dévoilée par Microsoft. Il n'existe aucune publication scientifique sur cette dernière et il est donc impossible de vérifier les affirmations de Microsoft concernant le processeur quantique annoncé. 

«En dehors de Microsoft, la communauté scientifique est très critique vis-à-vis de ces affirmations», déclare Daniel Loss. Elles semblent très irréalistes, surtout si l'on considère que l'article de Nature n'a pas apporté la preuve que ce sont les particules de Majorana qui expliquent les effets mesurés. Dans des “circonstances normales”, un tel travail n'apparaîtrait pas dans Nature», affirme le professeur, avant de mettre les choses au clair: «Ce travail n'est pas une percée.»

Article du 20 février 2025: Microsoft affirme avoir franchi une étape décisive vers l’avènement d’ordinateurs quantiques exploitables. La firme de Redmond a annoncé la création de Majorana 1, une nouvelle puce quantique reposant sur une technologie inédite: les topoconducteurs (ou «Topological Superconductors» en anglais). Microsoft précise qu’il s’agit d’une nouvelle catégorie de matériaux capables d’atteindre un état de la matière jamais observé auparavant – ni solide, ni liquide, ni gazeux, mais topologique.

«Après près de vingt ans de recherche, nous avons créé un tout nouvel état de la matière, rendu possible par une nouvelle classe de matériaux, les topoconducteurs, qui permettent un bond fondamental en informatique», a déclaré Satya Nadella, CEO de Microsoft, dans un post sur LinkedIn.

Les qubits topologiques: plus petits, plus rapides et plus fiables

Cet état de la matière ouvre la voie à la création de qubits topologiques, plus petits, plus rapides et plus stables que les technologies existantes. Pour rappel, les qubits (ou bits quantiques) sont l’unité fondamentale de l’informatique quantique. Contrairement aux bits classiques, qui ne peuvent prendre que deux valeurs (0 ou 1), les qubits existent dans une superposition de ces deux états simultanément. Particularité des qubits topologiques : ils ne stockeraient pas l'information dans des particules ou des atomes individuels, mais dans les propriétés topologiques d'un système. 

Les qubits topologiques développés par Microsoft mesurent 1/100e de millimètre. Cette avancée permet d’envisager la conception de processeurs comptant jusqu’à un million de qubits, un seuil à partir duquel l’informatique quantique pourrait démontrer tout son potentiel. De plus, ces qubits seraient intrinsèquement fiables, car leur structure matérielle leur confère une résistance naturelle aux erreurs, et ils sont pilotés numériquement.

Un article de la MIT Technology Review rappelle que les technologies actuelles, notamment les qubits supraconducteurs développés par Google et IBM, sont extrêmement fragiles, nécessitant un grand nombre de qubits supplémentaires pour corriger les erreurs. Tandis que la technologie de Microsoft ouvre la voie pour construire un ordinateur quantique tolérant aux fautes, contenant quelques milliers de qubits, d’ici quelques années. 

Nouvelle architecture matérielle

L’avancée de Microsoft repose sur des validations académiques et institutionnelles solides. La DARPA, l’agence de recherche du Pentagone, soutient déjà ce projet. En outre, un article publié dans la revue Nature décrit comment les chercheurs sont parvenus à créer et mesurer les propriétés quantiques des qubits topologiques. Ce progrès a nécessité le développement d’une nouvelle architecture matérielle, composée d’arséniure d’indium et d’aluminium, afin de générer des particules de Majorana, dont les propriétés uniques permettent de protéger l’information quantique contre les perturbations aléatoires.

Les chercheurs ont non seulement réussi à créer ces particules de Majorana, mais aussi à mesurer les informations quantiques qu'elles contiennent grâce aux micro-ondes. Les mesures peuvent être activées et désactivées par de simples impulsions de tension, à l’image d’un interrupteur, plutôt que par des réglages complexes pour chaque qubit, indique la firme dans un article détaillé. Cette approche numérique simplifie le contrôle des qubits et allège les contraintes physiques associées à la conception d’un ordinateur quantique à grande échelle.

Une puce quantique adaptée aux datacenters Azure

Majorana 1, la puce quantique de Microsoft, intègre à la fois les qubits et l’électronique de contrôle associée. Elle tient dans la paume d’une main et peut être facilement intégrée aux centres de données Azure. Bien que plusieurs années d’ingénierie soient encore nécessaires pour affiner les processus et mettre en œuvre cette technologie à grande échelle, de nombreuses barrières scientifiques et techniques ont été levées, se réjouit Microsoft.
 

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