Christophe Wagnière en interview

Après Lausanne, une Ecole 42 devrait voir le jour à Zurich

par Joël Orizet et (adaptation ICTjournal)

Ecole 42 projette d'ouvrir un second campus suisse à Zurich. Les alémanique pourront expérimenter son concept d'apprentissage particulier de l'informatique où l'entraide, le jeu et le travail remplacent les professeurs et les cours. Directeur de 42 Lausanne, Christophe Wagnière, explique les raisons de ce nouveau campus, rappelle l'importance des sponsors pour financer le projet et revient sur les ingrédients qui font l'originalité de l'école.

Christophe Wagnière, Directeur d'Ecole 42 Lausanne depuis sa création en 2020.
Christophe Wagnière, Directeur d'Ecole 42 Lausanne depuis sa création en 2020.

Le premier campus suisse de l'Ecole 42 a ouvert ses portes à Lausanne il y a deux ans. Un autre site devrait suivre en Suisse alémanique. Où en est ce projet? 

Cela fait deux ans que nous préparons en sous-marin le projet 42 Zürich et aujourd'hui que le financement de 42 Lausanne est assuré et que l'école tourne à plein régime, nous lançons le projet par la recherche des principaux partenaires pour financer le campus et en parallèle nous préparons le plan de déploiement. Notre stratégie c'est d'assurer le financement pour la fin 2023 afin de déployer le campus au 1er semestre 2024 et d'ouvrir le 6 juillet 2024 (car 6x7 = 42). Quant au lieu, il existe plusieurs alternatives à ce stade, mais celle qui a ma préférence, c'est d'ouvrir un flying campus à Kloten !

Pourquoi avez-vous choisi Zurich?

Pour nous, Zurich a toujours été une évidence, car en une heure de transport public, nous adressons une population de 4 millions d'habitants et nous pouvons donc assurer le bon fonctionnement d'un campus 42. Sans compter que nos autres campus sont à Tokyo, Berlin, Londres, Vienne, Paris, soit dans des grands centres économiques comme l'est Zurich. Quant à Bâle, nous avons envie, avec nos collègues de 42 Mulhouse, d'ouvrir le premier campus transfrontalier, à l'image de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, avec un espace en allemand à Bâle et un espace en français à Mulhouse, pour des étudiants venant de France, de Suisse ou d’Allemagne.

Derrière chaque antenne de l'Ecole 42 se trouvent différents financeurs. A Lausanne, il s'agit de quelques entreprises, dont Swisscom; à Wolfsburg, c'est surtout Volkswagen. Qu'en est-il du financement des sites prévus à Zurich et à Bâle?

C'est le problème clé. Sans projet pas de financement, sans financeur pas de projet... Donc maintenant, on a pris le taureau par les cornes, lancé le projet et nous comptons sur les partenaires avec qui nous discutons depuis de nombreuses années et qui souvent regrettent que nous n'ayons pas de campus en Suisse alémanique - leurs équipes s'y trouvent - pour nous soutenir. Nous pouvons avancer vite, mais pas seul! Mais comme je l'ai déjà dit, il faut maintenant passer de l'envie à un soutien concret et nous en appelons aux acteurs économiques qui peuvent faire quelque chose de simple pour soulager leurs entreprises face à la pénurie d'informaticiens.

Qu'obtiennent les financiers en échange de leur soutien?

Formellement, nos sincères remerciements, car il s'agit d'un don. Plus sérieusement, ce sont des entreprises, alors elles ont besoin d'un business case. Nous proposons en exclusivité à nos mécènes de pouvoir faire un recrutement actif sur le campus. Plus de la moitié de nos étudiants font leur stage aujourd'hui chez un mécène, ce qui prouve qu'ils ont un avantage compétitif. Et puis, nous sommes une organisation non-profit, ce qui compte dans le cadre de la Responsabilité sociale d'entreprise. Enfin, nos partenaires nous aiguillent aussi sur le contenu de la formation, afin qu'il soit adapté aux besoins réels du marché. 

Dans quelle mesure les sponsors peuvent-ils avoir une influence sur le programme d'enseignement?

Comme je viens de le dire, d'un côté ils nous aiguillent, même si nous avons une ligne pédagogique claire que nous n'allons pas dépasser. Je prends quelques exemples: nous développons un module de «développement durable» ou «sustainable coding»... en partenariat avec la Romande Energie. Nous avons même des discussions en vue de former des étudiants sur COBOL. Certains partenaires trouvaient que nos étudiants avaient des carences en modélisation, nous avons ajouté des workshops de pratiques. Pour faire simple, qui paie commande, mais nous sommes une école 42 et nous devons garantir la cohérence d'ensemble.

Le concept de l'Ecole 42 est particulier. Il n'y a pas d'enseignants, pas de restrictions d'accès, pas de diplôme reconnu par l'État - et pourtant, les diplômés semblent être très recherchés sur le marché du travail. Comment cela se fait-il?

Il y a 20 ans, on avait tellement besoin d'informaticien.ne qu'on engageait celles et ceux qui s'étaient formés sur le tas. Entre deux, il y a eu une augmentation des diplômés, alors on a préféré engager des diplômés... mais cela n'a pas suffi à faire face à la pénurie. Alors on revient à une époque réaliste dans laquelle on engage des personnes compétentes. Les 50 écoles 42 dans le monde ont démontré qu'elles formaient des personnes très compétentes, avec de profils techniques qui manquent sur le marché. Et en plus, ce sont des employés motivés et très autonomes. C'est ce que veulent les entreprises, c'est pourquoi elles nous financent. 

À quoi ressemble un cursus type à l'École 42? Et comment fonctionne la procédure de sélection?

L'école est ouverte à toutes les candidatures, mais il faut réussir les deux phases de sélection. A Lausanne, nous avons 2'500 candidats par année qui passent le premier test (en ligne de 2 heures) et seul 30% le réussissent. Ensuite, une partie arrivent à se libérer quatre semaines pour venir passer la «Piscine», un camp d'informatique qui permet de se familiariser avec le fonctionnement de l'école. A la fin de cette 2ème phase de sélection, nous retenons les personnes qui ont les compétences nécessaires pour réussir la formation. Cela représente entre 150 et 200 étudiants par année à Lausanne.

Commence ensuite le cursus, avec une formation très souple qui s'adapte aux contraintes personnelles et professionnelles de chacun. La première partie de la formation, que nous appelons le «tronc commun» dure entre 12 et 24 mois et permet aux étudiants (dont 80% n'ont jamais travaillés dans l'informatique) de devenir des développeurs juniors. Ensuite, les étudiants alternent stages professionnels et modules de spécialisation afin de perfectionner leurs compétences techniques. Après le premier stage, ils peuvent décider d'arrêter l'école et se concentrer sur leur nouveau job. Ils pourront toute leur vie professionnelle revenir faire les spécialisations gratuitement au sein d'une école 42 dans le monde.

Le concept d'enseignement prévoit entre autres l'apprentissage peer-to-peer et la gamification. Comment peut-on s'imaginer cela concrètement? 

Pour le Peer-to-Peer, concrètement, ce sont trois actions clés. D’abord, la règle de base à 42, c'est l'entraide et d'aller chercher les informations chez les collègues (et donc transmettre ses connaissances aux autres étudiants). Ensuite, tous les projets doivent être revus par d'autres étudiants pour validation, ce qui veut dire que chacun va pouvoir voir comment un collègue s'est débrouillé pour résoudre un challenge. Enfin, plusieurs projets sont réalisés en équipe, ce qui permet de gérer aussi la collaboration et l'entraide dans une autre dynamique. 

Pour la gamification, c'est une question d'ambiance et de manière d'aborder l'apprentissage. A titre d’exemple, chaque étudiant est associé à une des trois coalitions (genre maison d'Harry Potter) à laquelle il fait gagner ou perdre des points en fonction de son comportement et des actions qu'il fait au sein de l'école. A la rentrée académique, la coalition gagnante organise la soirée d'Halloween durant laquelle la nouvelle volée d'étudiants se voit attribuer à l'une des coalitions. Autre exemple, pour chaque action utile à l'école (organisation d'events, surveillance d'examen, etc.), les étudiants gagnent des dollars altarians (une monnaie interne à 42) qui leur permet d'acheter des goodies ou des services (par exemple se faire servir un café par l'équipe, passer une musique dans l'école, se faire couper les cheveux par le directeur technique, etc. Nous multiplions par ailleurs les événements funs comme des Game Jam (week-end pour créer et développer un jeu), des Labs, des Hackathons, afin de créer des espaces de plaisir en plus de la formation. Ou nous lançons des challenges comme un blind test géant sur Discord, les 20 minutes de nettoyage d'espace disque, etc. avec des prix à la clé. Mais l’esprit c'est surtout le droit à échouer et recommencer sans impact, comme dans un jeu vidéo, le fait que les modules ne sont débloqués qu'une fois les étapes précédentes réussies, etc.
 

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