Que dit le dernier rapport du GIEC à propos du numérique?
Publié en avril, le troisième volet du dernier rapport du GIEC avertit qu’un changement de trajectoire est impératif pour éviter un réchauffement rendant la planète invivable. Les technologies numériques et les modèles de consommation qu’elles soutiennent y sont présentées comme des outils pour réduire les émissions de CO2, à condition de veiller à neutraliser leurs effets négatifs directs et indirects, de l’énergie aux déchets en passant par les effets rebond.
Début avril, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié le 3ème volet de son sixième rapport, consacré à l’atténuation des conséquences du réchauffement climatique. Les auteurs avertissent qu’il sera impossible de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degrés Celsius, sans une réduction immédiate et radicale des émissions de CO2 dans tous les secteurs, de l’industrie à l’agriculture en passant par la construction, sans oublier le secteur énergétique lui-même. S’appuyant sur leurs scénarios, les scientifiques estiment cependant qu’il est encore temps pour agir. «Si nous opérons les bons choix en matière de politique, d’infrastructures et de technologies, nous pourrons changer nos modes de vie et nos comportements, avec à la clé une diminution de 40 à 70% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, indique Priyadarshi Shukla, coprésident du Groupe de travail III du GIEC. Nous pourrions ainsi réaliser un énorme potentiel de réduction des émissions. Il a également été établi que ces changements de mode de vie peuvent améliorer notre santé et notre bien-être».
> La page consacrée au 3ème volet du 6ème rapport du GIEC
L’ambivalence du numérique
Omniprésentes dans tous les secteurs et vecteur clé de leur transformation et de leur innovation, les technologies numériques figurent sans surprise en bonne place à maintes reprises dans le rapport basé sur des milliers de publications scientifiques. Le constat général des experts est ambivalent. D’un côté, ils reconnaissent le potentiel des capteurs, des objets connectés, de la robotique ou de l’IA pour contribuer aux objectifs de développement durable et à une meilleure utilisation de l’énergie. «Les technologies numériques ont un potentiel important pour contribuer à la décarbonisation en raison de leur capacité à accroître l'efficacité énergétique et matérielle, à rendre les systèmes de transport et de construction moins gaspilleurs et à améliorer l'accès aux services pour les consommateurs et les citoyens», expliquent-ils.
De l’autre côté, ils soulignent que la numérisation peut stimuler la demande de biens et services et augmenter les déchets électroniques. «La technologie numérique ne soutient la décarbonisation que si elle est gérée de manière appropriée», avertissent-ils ainsi dans le management summary.
Smart grid
Sur les 3000 pages du rapport, l’impact de la numérisation est abordé de manière plus spécifique dans les domaines de l’énergie, des nouveaux modes de consommation et de l’innovation. S’agissant du premier point, les auteurs estiment que la numérisation du système énergétique permettra d’augmenter la sécurité et la résilience de l’approvisionnement, mais aussi d’en accroître l’efficacité via la collecte et l’analyse de données et une optimisation en temps réel.
L’achat-vente d’énergie entre pairs s’appuyant sur les technologies numériques (blockchain, contrats intelligents, compteurs intelligents, etc.) est également vu comme un élément clé des systèmes électriques de demain: «Ce commerce permettra aux consommateurs de piloter les opérations du système, il en augmentera l’efficacité et la sécurité de l’approvisionnement et en réduira les émissions sans sacrifier la vie privée des utilisateurs».
Economie numérique
En matière de consommation, le document relève les économies d’énergie et de ressources qui peuvent être obtenues par la fourniture de services numériques (en déplaçant des bits et non des atomes), ainsi que la contribution des plateformes pour façonner une demande de biens et services plus durable. Ils soulignent notamment la capacité du numérique d’identifier et échanger des ressources excédentaires, d’optimiser la prestation de services, et de permettre des cycles d’innovation rapide pour améliorer les performances et réagir aux changements de comportements. «Ces caractéristiques de la numérisation permettent de mettre en place de nouveaux modèles commerciaux et de nouveaux services qui influent à la fois sur la demande de services, du co-voiturage au chauffage intelligent, et sur la manière dont les services sont fournis, des marchés agricoles en ligne aux échanges d’électricité de pair à pair permettant les systèmes électriques distribués», décrivent les auteurs.
Le rapport relève également la capacité du numérique à dynamiser et étendre aux pays développés les concepts d’économie du partage et circulaire (Uber, Airbnb, échange de déchets, production juste à temps, etc.). Pour les auteurs, ces tendances partagent l’objectif «d’accroître la commodité pour les utilisateurs et de rendre les systèmes économiques plus efficaces en termes de ressources».
Energie, déchets et effets rebond
Parallèlement, les auteurs soulignent trois effets négatifs de la numérisation. Premièrement au niveau énergétique, les appareils grand public, les datacenters et les réseaux représentent entre 6 et 12% de la consommation mondiale d’électricité, selon les modèles appliqués. Les auteurs craignent ainsi de plus en plus que «les améliorations en matière d’efficacité énergétique ne soient dépassées par la demande croissante de services numériques, d’autant plus que les technologies gourmandes en données - intelligence artificielle, smart grids, systèmes de fabrication distribués, véhicules autonomes - promettent d’augmenter encore plus la demande de services de données à l’avenir».
Deuxièmement au niveau des déchets. Selon les études, les déchets électroniques constituent le flux de déchets domestiques qui connaît la croissance la plus rapide au niveau mondial.
Troisièmement au niveau des effets rebond ou de demande induite par la transition numérique. Le rapport donne pour exemple le télétravail «qui réduit les émissions lorsque des trajets longs et/ou à forte intensité énergétique sont évités, mais qui peut entraîner une augmentation nette des émissions dans les cas où une plus grande utilisation de véhicules non professionnels a lieu ou lorsque seuls des trajets courts et à faibles émissions (par exemple, via les transports en commun) sont évités». Idem pour l’impression 3D qui peut nécessiter des formulations de béton plus intensives en émissions ou entraîner une réduction de l’efficacité de l’énergie thermique. Ou encore les scooters à la demande qui risquent de remplacer des trajets autrement affectés en transport public et s’accompagner d’importants besoins énergétiques pour le rééquilibrage du système la nuit.
Meilleur suivi des impacts
Si le rapport du GIEC pointe du doigt certaines technologies gourmandes en énergie comme les crypto-monnaies ou l’IA, le constat est le plus souvent ambivalent, les effets positifs du numérique étant contrebalancés par leurs impacts négatifs directs, indirects, voire systémiques et donc difficile à estimer. «La numérisation de l’économie est souvent citée comme offrant de nouvelles possibilités d’atténuation, mais les connaissances et les preuves sont encore limitées - comme la compréhension du rôle des applications intelligentes et les potentiels et l’influence des technologies perturbatrices du côté de la demande et de l’offre sur les émissions de GES (gaz à effet de serre)», expliquent les auteurs. Pas de vérité générale donc comme l’illustre le domaine la mobilité: le service VTC à la demande type Uber augmente les émissions de GES en raison des déplacements à vide, tandis que le co-voiturage tend à les réduire grâce à des niveaux d'occupation plus élevés.
Outre les indispensables efforts de réduction de la demande d’énergie directe (datacenters, équipements des utilisateurs) et le recours aux énergies vertes, les auteurs du rapport recommandent un suivi bien meilleur de l’impact des solutions déployées: «Garantir les avantages de l’efficacité des services numériques tout en évitant les possibles effets de rebond et autres poussées de la demande nécessitera des politiques publiques précoces et proactives pour éviter une utilisation excessive de l’énergie, ce qui nécessitera également des investissements dans la collecte de données et les systèmes de surveillance pour s’assurer que les avantages nets d’atténuation sont réalisés et que les conséquences involontaires peuvent être identifiées rapidement et correctement gérées», expliquent les experts.