L'administration et ses chatbots
Les administrations publiques multiplient les projets de chatbot destinés aux citoyens et résidents. Les arguments utilisés pour légitimer ces déploiements tiennent-ils la route?
Les administrations publiques font montre d’un grand appétit pour les chatbots destinés au public. De multiples projets et déploiements sont en cours au sein de la Confédération et les cantons ne sont pas en reste. Dans de nombreuses démarches administratives, les résidents auront donc de plus en plus affaire à des agents conversationnels.
Pour motiver ces développements, les administrations expliquent en général que les informations sont parfois complexes et difficiles à trouver sur leurs sites web, et que la population souhaite obtenir des réponses 24h/24 et 7 jours/7. Les chatbots sont aussi vus comme un moyen de montrer que l’Etat n’est pas à la traîne en matière de numérisation et d’offrir une expérience améliorée renforçant la confiance des citoyens. Quant aux craintes, elles sont balayées par l’idée que les dangers d’un chatbot sont relativement anodins par rapport à d’autres possibilités de recourir à l’IA dans le domaine public.
Ces arguments sont très discutables. On peut d’abord se demander si la population souhaite véritablement une administration disponible à toute heure, si elle ne préférerait pas surtout avoir rapidement une personne compétente au bout du fil aux heures de bureau, et si le recours à un chatbot pour y suppléer n’est pas en tant que tel un sujet justifiant un débat public.
Ensuite, il y a l’argument des informations complexes et difficiles à trouver. En d’autres termes, au lieu d’œuvrer à simplifier les procédures et de gérer de personne à personne les décalages entre la réalité bureaucratique et celle des citoyens, on confie à un chatbot la tâche d’informer et d’interagir efficacement avec des interlocuteurs frustrés. «Dans une bureaucratie pleinement développée, on ne trouve plus personne avec qui l’on puisse discuter, à qui l’on puisse exposer ses griefs, ou sur qui un pouvoir puisse être exercé», écrit Hannah Arendt.
Sans compter qu’avec les chatbots avancés s’appuyant sur des modèles de langage, on accepte de facto qu’ils produiront des énoncés pas entièrement explicables, et même parfois altérés, incorrects et incohérents. On tolère notamment que la même question posée plusieurs fois puisse déboucher sur des réponses distinctes. Kafka n’avait pas osé y songer.
Et toute cette «expérience améliorée» est censée renforcer la confiance. Autant le dire, dans une telle acception, la confiance ressemble davantage à la satisfaction des utilisateurs d’une boutique en ligne, qu’à celle attendue d’une population à l’égard de son administration.