Interview CIO

Marc Besson, IMAD: «C’est la première fois dans ma carrière que j’ai la responsabilité de systèmes vitaux»

Depuis un an, Marc Besson est à la tête de l’IT de l’institution genevoise de maintien à domicile (IMAD). En entretien avec ICTjournal, il explique comment l’institution profite de son prochain déménagement pour repenser les modes de travail des collaborateurs et les autres défis propres à un secteur de la santé et du soin en pleine numérisation – un domaine où l’IT est parfois vitale, sans abus de langage.

Marc Besson est à la tête de l’IT de l’institution genevoise de maintien à domicile (IMAD) depuis un an. (Source: DR)
Marc Besson est à la tête de l’IT de l’institution genevoise de maintien à domicile (IMAD) depuis un an. (Source: DR)

On l’avait connu dans la banque, puis chez Visilab. CIO du lunetier pendant neuf ans, Marc Besson a pu y déployer son énergie, son leadership et son goût pour l’innovation pour mener la transformation numérique de l’enseigne, décrochant en 2017 le Digital Award pour sa stratégie omnicanale. Il y a un an, il relève un nouveau défi et rejoint en tant que CIO et membre de la direction générale, l’institution genevoise de maintien à domicile (IMAD) et ses 2’300 collaborateurs. ICTjournal l’a rencontré au siège de l’institution qui s’apprête à déménager.

Vous vous apprêtez à déménager le siège de IMAD. J’imagine que c’est aussi un gros chantier IT...

En effet. Nous déménageons au printemps le siège de IMAD et ses 350 collaborateurs vers de nouveaux bâtiments à Lancy Pont-Rouge. C’est un projet ambitieux pour notre institution et pour l’IT, d’autant plus que nous en profitons pour mettre en œuvre de nouveaux modes de travail comme le «flex office». Nous aménageons un environnement qui rendra possible le travail hybride avec un système de réservation des places de travail, des salles de conférence numériques un peu partout, et la mise en place d’un poste de travail unifié. Cela implique un renouvellement du parc de laptops pour nous équiper d’ordinateurs capables de se connecter à n’importe quelle place, avec toute la problématique des modèles et des docking stations.

Quelles solutions IT déployez-vous pour supporter le flex office?

Nous avons un projet pilote avec la solution Roomz, que nous utilisons déjà depuis plusieurs années pour la réservation des salles de conférence, et qui est synchronisée avec les agendas et Microsoft Teams Rooms. Nous travaillons aujourd’hui à étendre cette solution pour répondre à la problématique du flex office, sachant que nous ne disposerons que de deux tiers de places de travail par rapport au nombre de collaborateurs. Chaque bureau sera donc équipé d’un capteur qui permettra de savoir s’il est occupé et nous pilotons deux scénarios. L’un où le collaborateur réserve sa place, l’autre avec des places en libre-service. La réservation a l’avantage de permettre aux collaborateurs de savoir où se trouvent leurs collègues. Dans le même esprit, nous allons également créer des «villages» autour desquels graviteront les personnes travaillant ensemble. Ce ne sera donc pas totalement un flex office, mais il y aura une grande liberté.

Et pour le travail hybride?

Nous équipons tous nos locaux pour faciliter le travail hybride. Outre les salles de conférence, chaque place de travail disposera d’un écran avec une webcam intégrée. Nous menons par ailleurs des réflexions pour décider si les périphériques, comme la souris et le clavier, sont des équipements individuels ou liés à la place de travail – l’expérience du Covid y est pour quelque chose. Nous profitons également du déménagement pour mettre en place une impression sécurisée, basée sur la solution Papercut et intégrée avec nos badges, avec un parc de sept ou huit imprimantes contre quarante aujourd’hui, ce qui s’inscrit dans notre démarche RSE.

Des changements d’équipements sont-ils aussi à l’agenda pour vos collaborateurs de terrain?

Nos équipes de terrain – on parle de quelque 2’000 collaborateurs – sont équipées depuis plusieurs années. Elles disposent pour la plupart à la fois d’un smartphone pour être joignables et consulter nos applications métier, et d’un laptop employé typiquement pour les dossiers patients et les outils bureautiques. Ce laptop n’est cependant pas toujours adapté, de sorte que nous réfléchissons à introduire un équipement intermédiaire, qui pourrait prendre la forme d’une tablette Android. Un tel équipement aurait l’avantage d’un démarrage instantané et d’un écran plus grand que le smartphone et pourrait être plus adapté pour certains usages, comme le planning et la préparation des semainiers de médicaments. En tout état de cause, l’idée consiste, dans le futur, à laisser les collaborateurs de terrain choisir la combinaison d’équipements qui leur convient.

A Genève, 5000 personnes sont équipées de systèmes de téléalarme, qui sont connectés à nos infrastructures informatiques.

Quel impact l’activité de soin à domicile propre à IMAD a-t-elle sur le rôle de l’IT?

Le cœur de mon métier c’est de faire fonctionner les systèmes au quotidien afin d’assurer la délivrance de nos prestations. Et c’est la première fois dans ma carrière que j’ai la responsabilité de systèmes vitaux. Certes, je n’ai pas de respirateurs connectés à mes infrastructures, mais sans système d’information, nous ne tenons pas bien longtemps. Ainsi par exemple, toutes nos prescriptions médicales sont numérisées. A des fins de continuité, nous exportons plusieurs fois par jour l’ensemble de nos dossiers clients sur des environnements déportés en format PDF afin de pouvoir y accéder en cas de problème. Ce système ne nous permet de tenir que quelques jours, car notre environnement est dynamique: les traitements changent et de nouveaux clients arrivent quotidiennement, notamment du fait de notre obligation d’admission. A cela s’ajoute que j’ai depuis le début de l’année la responsabilité du service des technologies de l’autonomie. A Genève, 5000 personnes sont équipées de systèmes de téléalarme, qui sont connectés à nos infrastructures informatiques. Lorsque ces systèmes sont déclenchés, cela signifie qu’une personne est en danger ou a besoin d’aide, il est donc impératif qu’ils fonctionnent. Pour assurer leur continuité, les systèmes sont «redondés» sur différents opérateurs, mais nous nous posons actuellement beaucoup de questions sur la continuité énergétique de ces environnements et plus particulièrement sur la transmission des alarmes.

Que redoutez-vous des coupures de courant?

Nous échangeons régulièrement avec les opérateurs de nos datacenters et nous n’avons pas beaucoup d’inquiétudes de ce côté. Nous sommes davantage préoccupés par les télécoms, dont nous dépendons tant pour l’accès aux systèmes hébergés dans des datacenters externes que pour les téléalarmes qui utilisent Internet et la 4G. Les opérateurs ne sont aujourd’hui pas à même de garantir une continuité du service, y compris pour la 4G, les antennes ne pouvant fonctionner au mieux que quelques heures sans courant. Nos plans de continuité doivent donc partir du principe que les télécommunications pourraient ne pas fonctionner. Et cela pose quantité de questions: que communique-t-on avant une coupure aux 5000 personnes disposant d’une téléalarme et à leurs proches aidants? Que fait-on une fois que le courant est rétabli ? De même pour les informations nécessaires au personnel de terrain: faut-il les imprimer les dossiers client et les apporter rapidement aux 50 antennes de quartier? Les conditions le permettront-elles si les feux de circulation ne fonctionnent plus? Nous examinons toutes ces questions et nous travaillons sur une version adaptée de notre plan de continuité traitant plus précisément ce risque énergétique.

Comment fonctionne aujourd’hui l’échange d’informations avec les autres acteurs de votre écosystème?

Un grand nombre d’acteurs gravitent autour de nous: les médecins, les HUG, les maisons de retraite, les proches aidants, les pharmacies... L’échange d’informations entre ces parties n’est pas compliqué techniquement, mais c’est un défi en raison des barrières légales à l’échange d’informations médicales, au sens large. Sans le consentement exprès du client, les HUG ne peuvent par exemple pas nous faire savoir qu’une personne sort d’hospitalisation, alors que cette information nous serait très utile pour garantir la continuité du soin. Le sujet fait l’objet de discussions dans le cadre du dossier électronique du patient de CARA, avec notamment le projet d’un plan de soins partagé entre les parties prenantes.

On sait que le domaine médical repose encore beaucoup sur du papier. Quels sont vos projets de numérisation en la matière?

Nous lançons une grande initiative transverse baptisée «Cap’digital», qui vise à numériser certains processus clés au sein de IMAD. L’initiative comprend notamment les outils collaboratifs Microsoft que j’ai évoqués, la mise en place d’une GED (gestion électronique des documents, ndlr) et la dématérialisation du dossier client. Les protocoles de soins sont déjà numérisés, mais il y a encore des dossiers papier dans les équipes. A titre d’exemple, nous travaillons à permettre à nos équipes sur le terrain de numériser un original comme une ordonnance ou de consulter ces documents en mode mobile directement depuis le domicile du client. Nous déployons pour ce faire une solution basée sur Sharepoint associée à un outil d’archivage. Sur un plan plus transverse, nous travaillons aussi à numériser les parcours des clients, que nous accompagnons parfois pendant plusieurs décennies. Ici aussi, nous ne construisons pas quelque chose de «fait maison», mais nous nous appuyons sur un outil du marché, en l’occurrence Dynamics CRM.

L’emploi d’un CRM en mode cloud pour le parcours client est-il possible compte tenu des données que vous détenez?

Nous sommes en train de faire l’analyse du mode de gouvernance à mettre en place, de déterminer ce qui peut aller dans le cloud et sous quelles conditions, d’un point de vue légal et métier. Nous utilisons par ailleurs uniquement le tenant suisse du cloud de Microsoft et mettons actuellement en œuvre des mécanismes de protection comme Customer Lockbox» et «Bring Your Own Key» mais également la responsabilisation de l’utilisateur au travers de la classification des données et documents. Notre GED s’appuie d’ailleurs sur une version on premise de Sharepoint. Le fait est qu’aujourd’hui le cloud est de plus en plus souvent la seule solution disponible. En tant qu’administration publique, nous devons réfléchir à la question de la souveraineté de ces infrastructures, même si la menace pourrait davantage venir de hackers que d’un gouvernement tiers...

Quels sont vos autres chantiers d’innovation?

Avec la Direction Générale de la Santé, l’OCSIN et les HUG, nous avons lancé une initiative pour faire évoluer la santé numérique à Genève et qui est dotée d’un budget de 15 millions sur cinq ans. Le canton a été pionnier dans le dossier électronique du patient – aujourd’hui remplacé par CARA – et l’objectif est de continuer à innover dans le domaine. Le projet d’un plan de soins partagé que j’ai évoqué en fait partie. Dans le cadre de ce projet, IMAD va contribuer à répondre aux enjeux domiciliaires avec notamment une réflexion autour de la domotique santé et des objets connectés.

Quelles solutions domotiques envisagez-vous? S’agit-il d’assistance, de surveillance?

Nous voulons aller plus loin que les téléalarmes pour assister notamment les personnes âgées et ainsi faciliter l’autonomie à domicile. Nous envisageons par exemple d’équiper les appartements de lampes connectées développées par la start-up belge Nobi. Elles embarquent quantité de capteurs capables par exemple de détecter une chute, la prise de médicaments ou la température ambiante. La lampe peut aussi prévenir les chutes, en s’allumant automatiquement lorsque la personne se lève pendant la nuit. C’est aussi un dispositif moins stigmatisant qu’un bracelet d’alarme à porter en permanence. C’est l’une des solutions que nous évaluons actuellement notamment en parallèle de solutions permettant d’apporter une aide en dehors du domicile basé sur le réseau lorawan de notre partenaire SIG.

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