Frédéric Wohlwend, Waypoint: «Le CIO doit renverser la pyramide de son emploi du temps»
Après avoir dirigé l’IT de Merck au niveau mondial, Frédéric Wohlwend a rejoint Waypoint, la société qui gère les investissements de la famille Bertarelli, en tant que CIO. Une casquette à laquelle sont venues s’ajouter celles de Chief Digital Officer et de responsable des investissements dans des sociétés IT, notamment dans Simplivity et Nexthink. Il explique comment le rôle du CIO et l’agenda de l’IT doivent changer pour conduire la transformation numérique.
Comment voyez-vous l’évolution du rôle du CIO et de l’IT dans un contexte de transformation numérique?
La transformation numérique a commencé il y a déjà quelques années, mais on vit aujourd’hui une accélération de ce changement. J’y vois deux raisons. D’abord, la compétition est globale et elle s’est accrue, dans tous les secteurs. Les entreprises réalisent enfin que le digital n’est pas qu’un centre de coût, mais aussi une opportunité de se différencier. Ensuite, le contexte économique oblige à réduire les coûts et à changer les manières de faire. Et là aussi le digital peut apporter des solutions. Mais il y a également des freins à cette transformation. Les CIO en place n’ont souvent pas les compétences nécessaires et surtout ils manquent de temps, tout entiers qu’ils sont absorbés par une informatique toujours plus complexe. Sans compter que la demande digitale émanant des métiers ne cesse d’augmenter. En fin de compte, les CIO passent leur temps à gérer dans leur coin ces demandes et une complexité à laquelle ils contribuent au lieu de participer à la transformation du business. C’est ce qui pousse beaucoup d’entreprises à engager un Chief Digital Officer (CDO).
La création d’un poste de CDO serait donc une mauvaise nouvelle….
C’est ambigu. La démarche est à saluer car elle montre que l’entreprise voit dans la transformation numérique une thématique business. Mais la démarche est dramatique dans la mesure où l’on considère que le CIO n’est pas capable d’assumer ces nouvelles tâches. Je pense fondamentalement que la transformation numérique est une opportunité pour les CIO qui veulent évoluer. En devenant eux-mêmes CDO, ils peuvent assumer de nouvelles responsabilités et mériter véritablement le titre d’Officer. Les CIO ont aussi l’avantage d’avoir une affinité avec les technologies qui est nécessaire pour la transformation digitale. J’ai vu des entreprises promouvoir un Chief Marketing Officer au poste de CDO, avec plein d’idées mais peu structurées, ce qui ne mène pas loin non plus.
Vous qui êtes passé de la fonction de CIO à celle de CDO, qu’avez-vous changé?
Je me suis dit: «je veux faire d’autres choses», et pour cela, il faut se libérer du temps. Pour y parvenir, il faut s’organiser différemment et simplifier, drastiquement. Je pense qu’un grand nombre de CIO passent la majorité de leur temps à s’occuper des gros logiciels – ERP, CRM – et des applications business. Et les discussions qu’ils ont avec la direction concernent surtout le respect des budgets et des délais, et jamais la stratégie, le business, le futur. Il faut donc changer, faire des choix. Il y a certaines choses dont je ne veux plus m’occuper. J’en reste responsable, mais je ne veux plus passer ma journée dans des meetings à en parler.
A quelles activités faut-il consacrer davantage de temps?
Je pense que pour prendre en charge la transformation numérique, le CIO doit renverser la pyramide de son emploi du temps. L’infrastructure, l’ERP et les applications métier ne devraient occuper que 25% de son agenda, contre souvent 80% aujourd’hui. Je pense qu’il faut investir également 25% de ses journées dans la sécurité. C’est un sujet de plus en plus complexe qui préoccupe les directions. Il faut y consacrer davantage de temps et de moyens. Ensuite, il faut à mon avis dédier 30% de son temps aux évolutions digitales. Ce qui n’est pas facile, il faut de la discipline et il faut déléguer massivement, y compris certains sujets business. Enfin, les 15% de temps restant doivent servir à communiquer, à fédérer et à convaincre. Parler de stratégie numérique, ce n’est pas comme expliquer un projet IT : c’est un autre métier, qui exige d’autres compétences. Et conduire la transformation numérique, c’est gérer le changement. Les collaborateurs sont challengés, certains postes peuvent être automatisés et disparaître. Il faut donc fédérer et convaincre. Même s’il a tout le pouvoir, un CIO n’arrive à rien si ses cadres et ses équipes ne suivent pas.
Certaines entreprises créent des labs ou travaillent avec des incubateurs. Que faut-il changer dans l’organisation de l’IT? Où aller puiser l’innovation?
La manière dont l’IT est structurée est un frein à l’innovation. Il faut changer, mais créer un lab ce n’est pas changer. Cela permet de se rassurer et de montrer que l’on fait quelque chose de novateur, mais après, faute de budget, les initiatives meurent dans la plupart des cas. Je pense que la refonte de l’organisation n’est pas si compliquée. Au risque de me répéter, il faut simplifier et déléguer. Un outsourcing bien supervisé permet typiquement de faire travailler les équipes sur d’autres agendas, même si les résistances en interne peuvent être énormes. Pour innover, il faut aussi sortir de l’entreprise. On ne planifie pas une évolution digitale en discutant avec des collègues ou en allant une fois par an au symposium de Gartner. Il faut parler à des gens qui l’ont fait, à des personnes d’autres secteurs, à des visionnaires, à des pragmatiques, même si cela prend du temps. Enfin, je pense que la transformation numérique passe par le recrutement de jeunes collaborateurs. Ils sont plus flexibles, ils sont moins chers et ils ont un état d’esprit en ligne avec le digital.
Vous insistez sur le fait qu’il faut simplifier l’IT. Quelles mesures avez-vous prises dans cette optique?
Pour ne plus être absorbé par l’exécution, il faut démanteler les cathédrales informatiques et investir dans le cloud et dans de nouvelles solutions. C’est typiquement ce que nous avons fait en remplaçant notre infrastructure par les systèmes hyperconvergents de Simplivity. La solution nous a tellement convaincus que nous avons ensuite décidé d’investir dans cette société, dont nous sommes aujourd’hui l’un des gros actionnaires. Depuis que nous utilisons Simplivity, je ne passe plus de temps à parler de disaster de recovery, ou de uptime.
Vous avez aussi investi récemment dans la société suisse Nexthink. Vous l’utilisez aussi en interne?
Nous déployons actuellement la solution, mais le chemin a été en quelque sorte inverse qu’avec Simplivity. Nous sommes premièrement entrés en contact avec Nexthink en tant qu’investisseur, après qu’un VC nous a parlé de cette «truffe», comme on dit dans le milieu. Et c’est dans un second temps que nous avons décidé de l’employer nous-mêmes en voyant la simplification que l’outil pouvait nous apporter. Les grandes entreprises perdent énormément de temps à récolter des informations sur leur parc informatique ; on ne sait pas ce qui se passe sur les postes de travail, ce qui est patché, etc. La solution de Nexthink a l’avantage d’offrir une vue globale et actuelle sur l’ensemble des terminaux. Avec Simplivity j’ai simplifié mon infrastructure serveurs et avec Nexthink, je vais simplifier ma gestion des postes clients. En tant qu’investisseur, je dois anticiper des trends et je pense que tout ce qui simplifie l’IT et enlève des maux de tête aux CIO va marcher.