L’automatisation «intelligente» est en plein déploiement dans les entreprises suisses
L’enquête auprès de CIO suisses réalisée par ICTjournal témoigne de l’essor de l’automatisation «intelligente» dans les organisations du pays. Deux facteurs techniques y contribuent: les logiciels RPA à même de prendre en charge des tâches routinières réalisées sur un ordinateur pour gagner en productivité, et les technologies d’intelligence artificielle, dont on découvre chaque jour de nouvelles capacités et de nouveaux usages. Bien malin qui saura dessiner le visage de l’entreprise de demain et des métiers qui y auront place.
La plupart des entreprises suisses s’activent à automatiser leurs opérations à l’aide des outils numériques. C’est ce que montre une vaste étude réalisée par ICTjournal auprès d’une soixantaine de CIO suisses. Du service client au marketing en passant par les ressources humaines et l’IT elle-même, l’automatisation connaît ainsi un nouvel essor. Plusieurs raisons l’expliquent. D’abord l’emploi quasi-systématique d’outils numériques dans le management, le secteur des services et plus généralement le travail en col blanc, de sorte que quantité de décisions sont documentées et d’opérations exécutées sous forme numérique, les rendant traitables par l’outil informatique. Ensuite l’arrivée de deux technologies complémentaires: les robots logiciels (RPA) et l’intelligence artificielle – qu’il s’agisse de machine learning, de traitement automatisé du langage (NLP) ou, plus prospectif, de systèmes générateurs de contenus. Selon notre enquête, 29% des organisations suisses ont des projets en matière de RPA et 18% y recourent d’ores et déjà. Les chiffres sont supérieurs pour l’IA avec 25% d’adoption et 37% de projets pilotes ou en déploiement.
>> Enquête exclusive: l’adoption du RPA dans les entreprises suisses
>> Enquête exclusive: l’adoption de l’IA dans les entreprises suisses
Ensemble ces deux domaines technologiques font que l’on ose parfois parler d’automatisation «intelligente». Le Gartner, qui préfère parler de «logiciels d’automatisation agnostiques», estime que ce marché devrait enregistrer une croissance à deux chiffres en 2022.
Si les technologies évoluent, les objectifs restent les mêmes que dans les autres vagues d’automatisation: gains de productivité et de qualité, plus grande stabilité, capacité de rapidement monter ou baisser d’échelle. A la différence que l’on parle aujourd’hui plus volontiers de libérer les collaborateurs des tâches laborieuses, plutôt que de les remplacer par la machine.
RPA: des logiciels pour automatiser les tâches routinières
Déployées toutes deux dans les projets d’automatisation et parfois combinées, le RPA et l’IA n’ont pourtant que peu en commun. Davantage qu’une technologie, le RPA est une catégorie de logiciels permettant de reproduire le travail effectué par les collaborateurs à l’écran sur un support informatique, et notamment d’automatiser des séries de tâches administratives nécessitant plusieurs applications, en s’épargnant en partie leur intégration. Son emploi est souvent tactique et vise avant tout la productivité – un bénéfice ciblé par 89% des CIO sondés.
Si une tâche ne connaît que peu d’exceptions, qu’elle est chronophage et qu’elle s’effectue intégralement sur des outils numériques, elle est candidate à l’automatisation par le RPA. Ce n’est pas un hasard si le déploiement de ces solutions se heurte souvent à des processus trop fragmentés ou qu’il conduit les organisations à devoir commencer par refaçonner leurs processus, comme en témoignaient il y a quelques semaines les intervenants à une table ronde lors des Swiss IT Forum(s).
Après les banques qui y ont massivement recouru pour automatiser leur back office, le RPA gagne aujourd’hui la plupart des entreprises et branches, à commencer par les administrations publiques. L’emploi de RPA est particulièrement populaire dans les services de comptabilité et 43% des organisations suisses utilisant le RPA ont des projets en cours dans le domaine du service client.
IA: une technologie versatile, complexe et en développement
Les choses sont bien différentes avec l’intelligence artificielle. La technologie est d’abord souvent employée de façon implicite via d’autres logiciels (ERP, CRM) dans lesquels elle est embarquée. Lorsqu’ils sont développés par l’entreprise, les projets recourant à l’intelligence artificielle sont aussi plus compliqués. Une organisation sur trois indique ainsi manquer de compétences en la matière, juste après le manque de données exploitables pour entraîner les modèles.
L’IA est ensuite bien plus versatile, l’automatisation de tâches simples ou répétitives n’arrive qu’en troisième position des objectifs de déploiement, après l’amélioration de l’offre et l’assistance pour des tâches complexes. Ainsi, 30% des projets IA visent à réduire les coûts contre 43% pour le RPA. Cette versatilité explique sans doute pourquoi le principal défi des organisations en matière d’IA consiste à identifier un business case solide et que de nombre d’entre elles peinent à comprendre les bénéfices de la technologie.
Outre la variété des bénéfices, l’IA est aussi de nature à investir davantage de fonctions. Ou pour le dire autrement, rares sont les métiers dont une partie ne saurait être prise en charge par l’intelligence artificielle. Si, selon notre enquête, c’est aujourd’hui dans la production que l’IA est la plus employée (27%), plus d’une organisation sur trois expérimente ou a commencé à déployer cette technologie dans le marketing, (36%), l’innovation (38%) et le service client (38%) – un domaine où ses capacités de traitement du langage sont notamment exploitées (analyse de sentiment, chatbot), parfois pour servir d’input à des RPA.
L’informatique n’est pas en reste. Vu la quantité de données générées par les systèmes et la complexité croissante des stacks, les départements IT n’ont souvent pas d’autre choix que de recourir à l’IA (souvent embarquée dans leurs outils). On pense notamment à la gestion des infrastructures et opérations (AIOps), mais aussi à la sécurité (analyse de logs), au développement applicatif (Github Copilot), voire à l’intelligence artificielle elle-même (41% des organisations sondées utilisant l’IA font appel à des outils de type AutoML).
Quelle menace pour l’emploi?
Impossible d’aborder le sujet d’automatisation, sans évoquer la question de l’emploi. Quand bien même les CIO voient l’automatisation comme un moyen de réaliser des économies, seul un sur cinq indique que la réduction des effectifs est un objectif ciblé. Tant pour le RPA que pour l’IA, les craintes de pertes d’emplois ne sont que rarement vues comme un obstacle majeur aux projets.
Qu’en est-il dans les faits? Si l’on regarde dans le rétroviseur, il apparaît que la numérisation de ces dernières décennies a eu un impact sur le marché suisse du travail. Selon une analyse publiée il y a quelques semaines par le KOF (le Centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ), les professions routinières cognitives (employés de bureau, employés de banque, employés de guichet, caissiers, secrétariat, etc.) sont les plus susceptibles de se voir automatisées sous l’effet de la numérisation. Or ces métiers ont connu un déclin, passant de 20% des actifs en 1992 à 14% en 2021. Dans le même temps, les métiers non-routiniers cognitifs (enseignants, traders, médecins, etc.,) ont eux fortement augmenté, passant de 31% à 43% des actifs.
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Selon les chercheurs, le déclin des jobs routiniers cognitifs ne se traduit pas par une baisse des rémunérations ou un chômage accru sur le marché suisse de l’emploi, contrairement au phénomène observé aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Ils estiment que cette résilience de la Suisse s’explique aussi bien par un Etat providence étendu freinant la croissance de nouveaux emplois mal payés, que par un système éducatif dual davantage réactif aux besoins changeants des employeurs. Ils relèvent cependant que la disparition des certains métiers routiniers a un impact sur les mouvements dans le marché du travail, car ces professions étaient auparavant un moyen pour les travailleurs physiques d’accéder à un emploi mieux rémunéré.
Cette analyse rétrospective ne permet cependant pas de faire un pronostic sur l’impact futur de l’automatisation «intelligente». Avec l’IA, ce ne sont en effet pas uniquement des activités laborieuses et routinières qui sont menacées de substitution. Le recrutement, la traduction, l’analyse de radiographies, la rédaction de textes, la création de contenus (comme l’image en couverture de ce magazine), ne sauraient en effet être qualifiées de tâches routinières. Et si pour l’heure, l’IA assiste ces activités davantage qu’elle ne les remplace, il est légitime de s’interroger tant sur le nombre de professionnels qui les exerceront à l’avenir, que sur l’intérêt de leur nouveau travail de «correcteur des systèmes automatiques» (voir éditorial).