Big Mother
Mi-septembre, Apple a annoncé son partenariat avec le gouvernement de Singapour pour LumiHealth, une initiative de santé nationale s’appuyant sur sa montre connectée. Fruit d’un projet démarré deux ans plus tôt, l’app éponyme au poignet des résidents les encourage à adopter un mode de vie plus sain en effectuant les exercices et défis personnalisés recommandés par le système.
Cette collaboration inédite illustre le virage ou l’élargissement en cours de la numérisation vers le domaine du bien-être. Présente depuis des années, cette tendance connaît une nouvelle vigueur avec la pandémie et l’exploitation d’apps, smartphones et autres wearables commerciaux à des fins sanitaires, qu’il s’agisse de surveiller les quarantaines, de diagnostiquer la maladie ou de notifier les contacts à risque, comme dans le cas de Swisscovid.
Après une décennie marquée par l’emploi intensif du numérique dans le profilage publicitaire et son lot de scandales, le numérique de la décennie post-Covid pourrait afficher un visage plus bienveillant. Après les adtech et la digitalisation du marketing au service de l’expérience client, les années 2020 pourraient être celles des «technologies empathiques» et de la digitalisation des ressources humaines au service de l’expérience employé.
Ces développements ne seraient possibles sans l’essor des capteurs et des techniques d’intelligence artificielle. Entraînés avec des données corporelles, les algorithmes diagnostiquent Covid-19 dans le son de la toux, comme ils détectent un cauchemar dans le rythme cardiaque et les mouvements du poignet.
Ces innovations ne seraient pas non plus envisageables, sans une société disposée à les accueillir. A une époque où le corps est considéré comme un artefact dont il faut optimiser le fonctionnement, une écrasante et impossible responsabilité pèse sur les individus. Et il est tentant de la déléguer à des dispositifs numériques maternants, qui veillent à ce que nous adoptions des habitudes saines avec la bénédiction des autorités sanitaires. Les questions de privacy et de discrimination étaient les principaux enjeux éthiques pour les technologies de profilage. Avec les technologies du bien-être, l’enjeu principal pourrait être celui de la liberté et de l’autonomie des individus.