Pierre Berendes: «Il faut avant tout accepter de se lancer dans l’inconnu»
Auteur d’un livre sur le métavers, le spécialiste du numérique Pierre Berendes nous parle des opportunités business de ces mondes immersifs, avant d’évoquer des cas d’usage et les risques inhérents à ce marché émergent.
Pour quels secteurs d’activité le métavers présente-t-il selon vous le plus d’opportunités?
Il existe en fait deux types de métavers, qui présentent chacun du potentiel selon le secteur d’activité. L’un est surtout orienté B2B, avec des environnements fermés qui vont par exemple permettre de créer un jumeau virtuel d’une installation industrielle, où l’on pourra notamment collaborer pour concevoir une voiture ou former des opérateurs. L’autre type de métavers, dont on parle le plus, est orienté B2C et davantage apparentés à des jeux vidéo tels que Roblox, Fortnite ou Minecraft. Ces environnements intègrent des couches technologiques du Web3 qui exploitent la blockchain, typiquement les NFT et les crypto-monnaies. Ces métavers, plutôt orientés loisirs et divertissement, vont attirer du monde et donc également les marques qui seront tentées d’y aller pour entrer en relation avec leurs clients.
Quelles fonctions devraient le plus bénéficier des possibilités offertes par le métavers?
Concernant les mondes B2C, il s’agit d’un marché émergent sur lequel les entreprises sont aujourd’hui en phase exploratoire. Les métavers B2B sont en revanche déjà sur de bons rails car ils apportent un gain de productivité et permettent d’accélérer la mise sur le marché d’un produit – dans ce domaine, leur valeur ajoutée a fait ses preuves. Toujours côté B2B, ces technologies ont aussi du potentiel pour la gestion des RH, par exemple dans les domaines de la formation et de l’onboarding. Reposant sur les technologies de réalité virtuelle, ces cas d’usage sont dès à présent applicables. Accenture, qui a fait l’acquisition de 60 000 casques VR, fait figure de pionnier en la matière et a créé son propre métavers où les nouvelles recrues passent désormais leur première journée au sein de l’entreprise. L’intégration de nouveaux collaborateurs via un métavers fait spécialement sens pour les organisations avec de nombreux sites distants.
Les métavers B2C ne sont-ils pas une opportunité au niveau de la vente et du marketing?
C’est juste, mais c’est encore une perspective assez éloignée car les métavers correspondant à la vision de Meta – ceux qui nécessitent un casque VR – restent peu peuplés. Sauf peut-être pour les entreprises internationales, il me paraît trop tôt pour investir ce créneau. En revanche, les métavers de première génération, c’est-à-dire les mondes vidéoludiques que j’ai mentionnés précédemment, sont déjà bien plus intéressants. Pour Roblox par exemple, on parle de quelque chose comme 150 millions d’utilisateurs par mois. Alors que les jeunes générations sont moins sensibles aux canaux de communication traditionnels, c’est tout à fait légitime de se lancer sur ce créneau et de faire ses expériences.
Les premières initiatives dans le métavers peuvent consister à créer et proposer des objets virtuels sous forme de NFT, ou à organiser des événements virtuels immersifs.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent se lancer?
Je pense qu’il faut avant tout accepter de se lancer dans l’inconnu, faire des essais et ne pas craindre l’échec. C’est une situation comparable au début du web ou à l’avènement des réseaux sociaux, sur lesquels les manières de communiquer ont petit à petit évolué. Il est en outre important de bien définir son public cible. Les premières initiatives dans le métavers peuvent consister à créer et proposer des objets virtuels sous forme de NFT, ou à organiser des événements virtuels immersifs. Gucci a par exemple mis en place une exposition d’art dans le métavers, alors que d’autres marques ont misé sur des concepts plus divertissants. Il faut aussi bien avoir à l’esprit que ces mondes immersifs sont des espaces de co-création et il est important de savoir lâcher prise en acceptant les propositions créatives de la communauté.
Sur Decentraland, le lancement par Heineken d’une bière virtuelle a suscité une certaine incompréhension. Qu’est-ce que la marque a fait faux d’après vous?
L’initiative de Heineken évoque davantage une opération de communication, visant simplement à créer le buzz, plutôt qu’une expérience adaptée à sa cible et proposant quelque chose d’utile. A l’inverse, les initiatives d’autres marques font sens. Je pense à Samsung, qui a répliqué son flagship store new-yorkais sur Decentraland pour en faire un showroom virtuel. Ou encore Hyundai, qui a créé une expérience ludique sur Roblox. Ces entreprises ont fait l’effort de proposer des expériences adaptées aux habitudes de la communauté présente dans ces mondes immersifs. Pour revenir à la bière virtuelle lancée par Heineken, il n’est pas clair s’il s’agissait ou non de second degré. Quoi qu’il en soit, le message n’est pas bien passé. Mais ceci dit, la marque a tout de même le mérite d’avoir tenté quelque chose. Ils apprendront sûrement de leurs erreurs et imagineront un meilleur concept la prochaine fois.
Quels risques ou quelles limitations présente le métavers?
Je pense qu’il y a une première question à se poser: souhaite-t-on se lancer dans un nouvel espace dominé par un acteur comme Meta? On connaît les problématiques de protection des données personnelles liées aux géants du web. Ces risques pourraient même être d’autant plus préoccupants dans le métavers, quand on pense à des technologies intrusives de suivi rétinien à des fins de ciblage publicitaire. Il faut aussi mentionner les problématiques de modération, celles en lien avec l’usurpation d’identité – authentifier des avatars va en effet être compliqué. Ou encore les questions de réglementations, qui restent floues, par exemple au niveau de la propriété intellectuelle. Sans oublier que le port prolongé de casque VR n’est probablement pas sans risques pour la santé.
Pierre Berendes va donner la keynote «Quels sont les défis des DSI/CIOs dans le métavers», mardi 20 Septembre 2022, à l’occasion de l'événement Swiss IT Forum(s).