Pour travailler dans le métavers, il faudra avoir l'estomac bien accroché
Au-delà des usages ponctuels de la réalité virtuelle, va-t-on un jour travailler les yeux rivés en quasi-permanence dans métavers? Ubiquité, concentration, interfaces inédites... les atouts ne manquent pas. Mais passer de longues heures à travailler avec un dispositif devant les yeux n'a rien d'une sinécure, comme le montre une expérience récente sur 16 cobayes.
Un certain nombre d'entre nous travailleront-ils dans le métavers dans quelques années? C'est en tout cas le scénario sur lequel mise Meta et d'autres fournisseurs spécialisés. Et une part importante de la population suisse s'imaginerait bien travailler dans un univers virtuel selon une enquête récente de Microsoft.
Travailler dans le métavers
Les atouts ne manquent pas. Prolongation du télétravail auquel le Covid nous a habitués, le métavers permettrait de pouvoir disposer depuis n'importe où d'un espace de travail sur mesure et de rencontrer ses collègues dans un environnement enrichi. Du point de vue du travail lui-même, la réalité virtuelle ouvre aussi la voie à de nouvelles interfaces permettant d'accéder à de multiples couches d'information manipulables d'un simple regard. Grâce à sa plasticité, le métavers c'est aussi la possibilité de changer instantanément d'environnement et de se retrouver dans une forêt calme coupé du monde extérieur pour se concentrer sur une tâche. Dans cette optique, des chercheurs zurichois ont même développé un concept permettant de «rejouer» à la demande les interactions qui nous auraient échappé alors que nous étions concentrés sur notre bureau virtuel.
Si de nombreux travaux scientifiques attestent de tous ces potentiels de la réalité virtuelle, les expériences se limitent en général à de brefs moments passés un casque VR. Or l'ambition du métavers n'est pas que l'on y passe quelques minutes ici ou là pour échanger avec un collègue, afficher des instructions ou suivre une formation, mais bien de travailler de manière régulière avec un dispositif devant les yeux. Et là c'est une autre histoire.
Comme on peut s'y attendre, l'expérience de la réalité virtuelle peine à égaler celle de la réalité tout court. Les images, les sons, le toucher parfois sont passablement dégradés en termes de qualité et de latence. Sans compter l'inconfort de porter un dispositif sur la tête de manière prolongée. On l'aura compris, travailler des heures durant en réalité virtuelle n'est pas forcément agréable. Mais à quel point?
16 cobayes travaillent pendant une semaine en VR
Pour quantifier cet inconfort, des chercheurs ont invité 16 participants à travailler en réalité virtuelle pendant une semaine entière, soit cinq journées de huit heures (Quantifying the Effects of Working in VR for One Week). Pour que l'expérience soit davantage réaliste, ils les ont équipés de dispositifs commerciaux du marché (casque Oculus Quest 2 et clavier Logitech) et ils les ont laissés décider du travail qu'il souhaitaient faire. A titre comparatif, ils les ont ensuite fait répéter l'expérience pendant une semaine avec cette fois un espace de travail physique en prenant garde à ce que les deux environnements soient similaires.
Tout au long des deux semaines de tests, les 16 cobayes ont dû répondre à intervalles réguliers à des questions - fatigue ressentie, éventuel malaise, sentiment d'être productifs, etc. - et les chercheurs ont mesuré des aspects physiologiques, comme leur rythme cardiaque.
Fatigue, productivité et «mal des transports»
Après analyse, les chercheurs constatent que les différences entre l'expérience de travail normale et celle en VR sont importantes. Durant leur semaine de travail en réalité virtuelle, les participants ont eu le sentiment d'une charge de travail plus élevée (35%) et ils ont ressenti davantage de frustration (42%), d'anxiété (19%) et de fatigue oculaire (48%). Même en matière de concentration où la VR est supposée un atout, les participants signalent un sentiment de flow réduit (14%), idem pour la productivité perçue (16%) et le bien-être (20%). Les chercheurs relèvent également que les participants ont ressenti fortement le «mal des transports» (voir en fin d'article). L'expérience comptait d'ailleurs deux participants supplémentaires qui ont abandonné l'aventure pour cette raison dès la première journée.
Interrogés à l'issue de l'expérimentation, les 16 participants on toutefois indiqué qu'ils pourraient s'imaginer utiliser la réalité virtuelle pour leur travail, à condition notamment que les dispositifs s'améliorent (poids, résolution) et que ce ne soit que pour des durées limitées. «En réalité virtuelle, j'avais 45 minutes de haute performance suivies de 3 heures de maux de tête», a déclaré l'un des participants.
Qu'est-ce que la cybercinétose?
Ce "mal des transports" ressenti dans les environnements virtuels, pour lequel on emploie parfois le terme de cybercinétose, est un phénomène connu, notamment chez les professionnels se formant sur des simulateurs. 20 à 80% des personnes en souffriraient selon un article sur le sujet. Les nombreux symptômes (troubles oculomoteurs, maux de tête, pâleur, sueurs, bouche sèche, sensation d'estomac plein, désorientation, vertige, nausée, vomissement) font que certaines bases aériennes exigent que les pilotes ayant utilisé un simulateur passent jusqu'à 24 heures au sol avant de pouvoir prendre les commandes d'un avion. Divers facteurs contribueraient à ce malaise, liés tant aux caractéristiques de la personne qu'à l'expérience proposée (imprécision technique des systèmes VR, rendu «trop» réaliste, mouvements décidés par d'autres participants, etc.), sans oublier la durée et la fréquence à laquelle les personnes sont exposées aux environnements virtuels.