Entreprise data-driven

Prof. Christine Legner, HEC Lausanne : «Il faut passer à une gestion active et consciente des données»

Qu’est-ce qu’une entreprise data-driven et comment le devenir? La rédaction d’ICTjournal s’est entretenue avec une spécialiste du domaine: Christine Legner, Professeure à HEC Lausanne et Directrice du Competence Center Corporate Data Quality (CC CDQ).

Vous avez publié de nombreux articles sur l’entreprise data-driven, quels en sont pour vous les éléments clés?

Les entreprises ont besoin de données, ce n’est pas nouveau. Elles en ont d’abord obtenu comme résultat d’un processus; les données sont ensuite devenues une brique nécessaire à ces processus et elles constituent désormais une partie intégrale d’un modèle d’affaires. Aujourd’hui, la donnée devrait être considérée comme un actif d’entreprise au même titre que les ressources humaines et financières ou que les équipements de production. Il faut donc en déterminer le rôle dans la stratégie de l’entreprise et passer à une gestion active et consciente des données, en investissant par exemple dans leur acquisition ou leur amélioration.

Comment concilier cette approche plutôt centralisée et gestionnaire de la donnée et les innovations qui passent davantage par les métiers qui produisent et consomment de la data, comme le marketing ou la production?

Les idées d’exploitation des données viennent effectivement souvent des spécialistes métiers, qui disposent aujourd’hui d’outils relativement simples pour le faire. Cette approche bottom-up a toutefois ses limites: lorsque l’on veut développer, par exemple, une vue à 360 degrés du client, il va falloir rompre les silos et connecter des données du marketing, de la comptabilité et du service client. Ce travail central est également indispensable aux projets de data science et d’IA: sans ressources dédiées, sans visibilité sur les données disponibles, ces initiatives peinent à passer du stade de pilote au stade de production.

Vous avez énuméré de nombreux chantiers pour les entreprises souhaitant mieux tirer parti des data. Quelle priorité devrait mettre une organisation qui souhaite s’engager dans cette voie? Doit-elle d’abord miser sur l’accessibilité des data, travailler sur la gouvernance et l’intégration, améliorer la qualité, acquérir davantage de data?

Dans nos travaux de recherche, nous analysons les défis auxquels sont confrontées les entreprises qui prennent le virage du data-driven, ainsi que les approches qu’elles peuvent adopter. La conclusion: il n’y a pas de séquence standard, mais il faut travailler de concert sur plusieurs axes. Cela dit, je dirais qu’au départ de toute approche data-driven, il y a l’attention portée à la donnée et la compréhension de son rôle et de son potentiel. Une approche data-driven combinera par ailleurs toujours des éléments offensifs et défensifs. Il faut d’une part travailler sur l’innovation, le développement de use cases, l’acquisition, la monétisation des données; et d’autre part sur des tâches plus fondamentales, comme la gouvernance, l’intégrité et le master data. Imaginons par exemple le cas d’une entreprise déployant un système de BI en self-service, pour que la solution serve véritablement, il va falloir travailler tant sur la qualité des données, que sur les pratiques des utilisateurs métiers qui emploieront l’outil.

Dans l’entreprise data-driven, il y a cette idée d’orienter, voire d’automatiser les décisions en s’appuyant sur les données. Y a-t-il un risque de se fier exagérément à ces data parfois fétichisées?

Si je prends l’exemple du marketing digital, il y a effectivement un risque de négliger tous les pans de la relation client pour lesquels il n’y a pas de données disponibles. Il importe d’avoir des données et des indicateurs diversifiés, et de chercher de nouvelles sources d’information le cas échéant. Il y a aussi un risque de se fier à des données de mauvaise qualité; les décideurs sont souvent surpris quand on les confronte à la qualité des données contenues dans leurs systèmes. Enfin, il faut aussi reconnaître que les technologies ne vont pas tout automatiser, mais plutôt «augmenter» les capacités humaines, comme le font déjà les systèmes de recommandation.

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