Les entreprises vont-elles déployer des apps pour vérifier la santé des employés?
Plusieurs applications mobiles arrivent sur le marché qui proposent d’évaluer quotidiennement la santé des collaborateurs tant pour les rassurer que pour faciliter la gestion des capacités de l’organisation. Evoluant sur un terrain sensible, ces outils ne sauraient être déployés à la légère.
Répondez à quelque questions sur votre smartphone et l’app de votre entreprise vous dira s’il est préférable que vous restiez travailler à la maison… Incongrues il y a quelques mois, des applications mobiles de ce type pourraient bientôt être déployés par les organisations avec le double objectif de rassurer les collaborateurs que leurs collègues sont en bonne santé et d’éviter aux entreprises que leurs bureaux ne devinent des lieux des propagation.
La banque française Crédit Agricole vient ainsi de dévoiler son application maison pour le retour au travail. Développée avec le prestataire IT Onepoint, l’application COPASS permet de sonder les employés sur leur santé. Sur la base des réponses, l’application délivre un QR code au collaborateur dont la couleur détermine le protocole à suivre défini par son entreprise: télétravail, horaire alterné, test de dépistage, etc. «COPASS sera un des outils pour contribuer à la reprise économique, il permet à une entreprise de piloter son organisation du travail, en tenant compte de la situation personnelle de chaque salarié afin d’améliorer sa sécurité sanitaire», explique Serge Magdeleine, Directeur de la transformation digitale et IT du groupe Crédit Agricole.
L'application COPASS de Crédit Agricole.
En Suisse aussi…
Quelques éditeurs de logiciels suisses comptent aussi exploiter ce nouveau créneau - que l’on espère temporaire. Spécialisée dans les applications pour la santé, et notamment les soins à domicile, l’entreprise vaudoise Medikal Link Services propose ainsi depuis mi-avril une solution logicielle «d’aide au déconfinement» pour entreprises. Le fournisseur a adapté sa plateforme web sécurisée pour permettre aux organisations de recueillir des informations sur l’état de santé de leurs employés. Chaque jour, le collaborateur répond à quelques questions sur son état clinique (basées sur les recommandations de l’OFSP) et, s’il ne montre aucun risque, il reçoit un «certificat de droit au travail» sur son smartphone. «L’application garantit la continuité des activités dès la fin du confinement, sécurise les employés lors de leur retour au travail et démontre la responsabilité des employeurs vis-à-vis de leur personnel», explique le fournisseur.
Le même besoin a aussi donné des idées à la start-up alémanique Beekeeper. La jeune pousse à succès a étendu les fonctionnalités de son app collaborative pour aider les organisations et leurs employés «de terrain» face à la crise du COVID-19. Outre la diffusion rapide de conseils et autres notifications (directives sanitaires, changements d’horaires de travail), le kit de crise de Beekeeper propose des formulaires pour s’enquérir de la santé des collaborateurs. Et avec un certain succès, puisque la société enregistre depuis le début de la crise une augmentation spectaculaire de ses utilisateurs dans la santé (+85%), la logistique (+56%) ou la construction (+45%).
Salesforce et PwC
Du côté des grands éditeurs, on s’active aussi. Salesforce vient de dévoiler un éventail de fonctions spéciales COVID intégrées à sa solution Work.com pour les ressources humaines. L’offre étendue comprend notamment un outil pour orchestrer le retour des équipes dans les bureaux et surtout «Employee Wellness», une solution qui permet de créer des enquêtes sur la santé des employés et d’exploiter ces données pour orienter les décisions sur le retour au travail.
La solution Work.com dispose désormais de fonctionnalités «de crise» pour la gestion du personnel.
Enfin, pour compléter le tableau, citons le cabinet de conseil PwC, qui a développé en l’espace de quelques semaines la plateforme Check-in. La solution comporte deux volets: un système pour retracer les contacts entre collaborateurs à l’intérieur des bureaux et une app mobile pour recueillir des informations sur leur santé. Les données sur la santé et le département des collaborateurs doivent permettre aux organisations de remédier à des problèmes possibles de productivité, explique le cabinet IDC dans un rapport sur l’initiative.
La solution Check-in développée par PwC.
Protéger et/ou contrôler
Avec d’autres mesures, toutes ces applications sont donc destinées à permettre un retour serein au travail. Elles visent tant à rassurer les employés sur leur santé et celles de leurs collègues, qu’à permettre à l’employeur de mieux organiser la reprise de l’activité. Ces applications ne fonctionneront cependant pas et auront même un impact négatif si les employés ont le sentiment d’être surveillés. Les organisations doivent donc se montrer particulièrement transparentes sur leurs intentions (protection, monitoring des capacités, mesure de la productivité) et la manière dont elles exploiteront les informations partagées. PwC souligne ainsi combien son app nécessite une gestion du changement appropriée lors de la mise en oeuvre. Et Crédit Agricole recommande que l’utilisation de son app soit fondée sur un pacte de confiance entre l’employeur, les employés et les syndicats.
Un terrain sensible
Au-delà du ralliement des employés, ces applications évoluent sur un terrain risqué compte tenu de l’extrême sensibilité des données de santé. Avocat spécialisé dans la protection des données, Sylvain Métille relève plusieurs limites et problèmes dans ces outils, comme la légitimité et la proportionnalité des informations demandées par l’employeur au regard de son objectif. Le spécialiste se montre également dubitatif quant à l’anonymat des informations fournies. La solution de Medikal Link demande par exemple le numéro de téléphone du collaborateur, et l’app de PwC l’invite à renseigner son unité d’affaires et la zone urbaine la plus proche - ce qui dans certains cas permet d’identifier facilement l’employé concerné.
Sylvain Métille exprime aussi sa réserve quant au libre consentement de l’employé de ne pas utiliser l’app, qui semble bien peu compatible avec le fait de devoir présenter son certificat de santé digital pour avoir le droit de travailler. «Vu les enjeux, la liberté du consentement est exclue. Il faut alors un intérêt privé ou public prépondérant, explique l’avocat. L’intérêt public semble difficilement envisageable puisque les mesures figurant dans les plans de protections devraient être suffisantes (sauf quelques cas très particuliers).»
Diligence, transparence et participation
On l’a compris, ces applications d’évaluation de la santé et de la capacité de travail ne sont pas à déployer à la légère. Pour les dirigeants et les responsables IT, la transparence et la diligence sont de mise, tout comme l’adhésion véritable des collaborateurs et la non-discrimination de ceux qui s’y refuseraient. Autant de choses pas forcément facile à mettre en oeuvre dans la situation de précipitation actuelle…
A l’inverse et pour autant que l’organisation s’en donne le temps et les moyens, ces outils peuvent être l’occasion d’expérimenter un design plus ouvert où les collaborateurs co-conçoivent l’application qui leur est destinée. Une manière aussi de multiplier les regards et avis sur des question éthiques. «La combinaison de différents styles de pensée et de perspectives conduit à une manière plus équilibrée et plus mesurée de décider s'il faut collecter des données, comment les utiliser et avec qui les partager», explique Clougherty Jones, analyste senior chez Gartner.
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