Les banques suisses face à la blockchain
«Ce qui ne peut être empêché doit être embrassé», écrivait Shakespeare. Cette devise s’applique à l’utilisation de la blockchain dont les innovations associées impactent toutes les banques. Elle ne représente en réalité qu’une partie d’une transformation plus large qui doit être axée sur la relation client.
La blockchain: une opportunité à saisir par les banques suisses
Les cryptomonnaies: un nouveau produit d’investissement que les banques doivent offrir
La concrétisation de la blockchain est apparue aux yeux du grand public grâce à la popularisation du Bitcoin, dont bon nombre de personnes connaissent l’existence, contrairement aux autres cryptomonnaies ou à la technologie sous-jacente qu’est la blockchain. Il existe aujourd’hui plus d’un millier de cryptomonnaies. Les moyens de s’en procurer étant plus faciles, le nombre d’investisseurs a crû de manière exponentielle, ces derniers étant surtout attirés par les success story des early investors.
La banque privée zurichoise Falcon Private Bank est la première du marché à proposer à ses clients d’investir dans des cryptomonnaies via son service Blockchain Asset Management. Ce service propose également aux détenteurs de cryptomonnaies de convertir leur monnaie virtuelle en argent sonnant et trébuchant, et ce en respectant totalement les règles de conformité réglementaire.
Cependant, l’arrivée sur le marché de millennials, fascinés par les cryptomonnaies, devrait pousser les banques à proposer ce type de produits d’investissement. Dans tous les cas, les premiers établissements à proposer ce genre de service bénéficieront probablement du first-mover advantage. A l’inverse, ceux qui rateront la marche le regretteront sûrement. Le CEO de J.P.Morgan a récemment expliqué «regretter» avoir décrit les cryptomonnaies comme étant une fraude.
Un levier à inclure dans une stratégie de réduction de coûts
Depuis 2008, les banques ont dû faire face à une baisse de leurs revenus et à une augmentation de leurs coûts, engendrés notamment par l’incessante pression réglementaire, dégradant fortement leur cost / income ratio. De ce fait, les banques suisses ont mené des politiques de réduction et de suivi des coûts. Certaines applications de la blockchain devraient permettre aux banques de réduire leurs coûts, grâce à la disparition de nombreux intermédiaires et la quasi-instantanéité de certaines transactions.
Cette technologie, couplée à l’émergence de l’intelligence artificielle permettra notamment de diminuer les tâches à faible valeur ajoutée des employés de banque grâce à l’automatisation de nombreuses tâches manuelles.
La blockchain permettra aux banques de devenir ultra-efficientes
Crédit Agricole next bank a récemment annoncé tester le transfert des salaires de ses employés frontalier vers leur compte Crédit Agricole Français. Via la blockchain, cette opération se fait quasi instantanément alors qu’habituellement, cela prenait plusieurs jours.
Autre bénéfice additionnel, une plus grande transparence quant aux frais facturés aux clients et par conséquent pour eux une meilleure expérience.
Le cheval de bataille de toute fonction conformité des banques depuis plusieurs années est ce qu’on appelle le KYC (Know Your Customer), véritable clé de voûte du respect des lois sur l’anti-blanchiment ou le financement du terrorisme notamment. Plusieurs observateurs et institutions bancaires émettent l’idée de partager les informations KYC de chaque acteur sur une blockchain et ce afin de fluidifier, sécuriser et décentraliser les données KYC entre contributeurs de la blockchain.
Certains annoncent même déjà les effets positifs: une automatisation des processus, la fin des doublons, une meilleure expérience client et surtout, sur le long terme, une diminution du risque opérationnel lié à cette problématique.
La blockchain représente une menace pour certains acteurs bancaires
Détenir un compte bancaire: une nécessité vouée à disparaître
Difficile de nos jours d’imaginer vivre une vie normale sans détenir de compte bancaire. En effet, la première étape de la relation entre une banque et un client est généralement la nécessité pour ce dernier de disposer d’un compte bancaire pour des opérations classiques (paiements, salaire, investissements etc.). Cependant, la possibilité de transférer directement des cryptomonnaies entre personnes morales ou physiques pose la question de la nécessité d’avoir un compte bancaire à terme. De plus, il est désormais possible, dans certains pays, de convertir des bitcoins en monnaie, en se rendant dans un Bitcoin ATM (il en existe deux milliers environ aux USA). Même si ce phénomène est encore marginal et doit être relativisé, il pourra être imaginable de vivre une vie quasiment normale en étant en dehors du système bancaire.
Une menace bien réelle pour la survie des banques suisses
Une récente étude Moody’s a mis en évidence que les banques suisses sont les plus exposées à la baisse des revenus bancaires liées à l’émergence de la technologie blockchain, notamment du fait de la facilitation des paiements internationaux qui réduira leurs revenus. La Suisse est le pays dans lequel les frais et commissions représentent la part la plus importante du revenu des banques (50%), et ce largement devant les pays comme l’Italie, le Canada et Israël qui sont aux alentours de 35%. Les banques suisses sont donc les plus fragiles face à la baisse annoncée des frais et commissions provoquée par les innovations liées à la blockchain. Leur business model est donc en partie en danger et une réponse à cette menace doit être trouvée.
Alors que certaines grandes banques universelles et privées sont déjà en train d’investir dans les potentielles applications de cette technologie, comme Lombard Odier Investment Management qui a réalisé la première transaction d’obligations via la blockchain plus tôt dans l’année, il paraît évident que les banques n’ayant pas la taille critique pour faire de même, se doivent de bâtir leur plan stratégique en intégrant cette technologie et ses applications dans leur réflexion.
Les plus petits acteurs devront en effet répondre aux nouvelles exigences des millennials. Afin d’y arriver, il existe plusieurs possibilités : l’achat de certaines solutions et outils, l’externalisation de certaines activités ou encore des partenariats avec des FinTech dont le nombre ne cesse de croître (plus de 220 en Suisse). Dans tous les cas, les acteurs du secteur ne doivent pas perdre de vue la clé de toutes ces transformations: la relation client.
Le nerf de la guerre: la relation client
Impossible d’évoquer la transformation du secteur bancaire sans mentionner également d’autres leviers de cette transformation que sont l’Intelligence Artificielle, le Robotic Process Automation (RPA), le Cloud Computing ou encore l’Open Banking. La fin du très profitable monopole bancaire sur certains segments d‘activité attire de nouveaux acteurs, que ce soit les GAFA, des acteurs de la grande distribution, des FinTechs etc., qui mettent sous pression les revenus des acteurs traditionnels de la branche. Avec la résurgence de nouvelles réglementations, l’apparition de nouveaux acteurs et des attentes clients de plus en plus élevées, les banques doivent se rendre à l’évidence: l’expérience client est le nerf de la guerre.
Les nouvelles aspirations des clients sont multiples: davantage d’instantanéité, de transparence, d’éthique et de personnalisation. La technologie blockchain permet de répondre à une partie de ces attentes, notamment concernant l’instantanéité des transactions et des paiements. Concernant la personnalisation des offres proposées aux clients, l’intelligence artificielle et le marketing automation sont des leviers technologiques permettant de répondre à cette demande. Enfin, l’Open Banking rendu possible en Europe grâce à PSD2, diluera davantage la relation client, dans le sens où un client aura la possibilité d’effectuer toutes ses transactions interbancaires sur le site d’une seule banque ou d’un agrégateur.
Au sein de cette guerre de la relation client, le plus gros défi des acteurs bancaires en Suisse est de prendre la décision d’investir, tout en étant conscient que cet investissement pourrait s’avérer être un échec. Les banques qui n’auront pas pris ce risque perdront sûrement des parts de marché au profit de concurrents traditionnels mais aussi des nouveaux entrants. Ces investissements devraient se concentrer sur trois axes:
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Transactionnel : la digitalisation et l’instantanéité des transactions grâce au digital.
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Opérationnel: optimiser l’interaction entre les banques et leurs clients.
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Relationnel : le banquier doit revenir à son métier originel qui est d’aider le client à donner vie à ses projets, et ce de manière plus exhaustive et personnalisée.
Afin de faire partie des gagnants de cette guerre de la relation client, les banques suisses devraient faire sienne la citation du PDG d’Amazon, Jeff Bezos à ce sujet: «Nous considérons nos clients comme des invités à une fête où nous sommes les hôtes. C'est notre job d'améliorer leur expérience un peu plus chaque jour».