Tesla à la peine: les méthodes Lean 1, Elon Musk 0
Le patron de Tesla fait demi-tour. Incapable de faire monter la cadence de production de son usine californienne au niveau souhaité (5000 voitures par semaine), Elon Musk a décidé de stopper son escalade à l’automatisation et de faire davantage confiance à l’humain.
Elon Musk l’a admis dans une interview accordée à CBS et l’a confirmé dans un tweet: l’automatisation extrême de l’usine Tesla serait à l’origine du retard de la production de la Model 3. Le charismatique patron reconnaît même que «sous-estimer les humains» était une erreur.
Un volte-face rare de la part de l’entrepreneur si sûr de lui. Mais les faits ont eu raison de ses convictions: début avril, Tesla a annoncé ne pas avoir atteint son objectif de production de 2’500 voitures par semaine déjà bien inférieur à l’ambition initiale de 5’000 véhicules hebdomadaires. Le PDG du constructeur californien regrette finalement que cette automatisation extrême a créé un «réseau de convoyeurs complexe, fou» qui serait à l’origine du ralentissement de la chaîne de production.
La force concurrentielle: l'usine
Elon Musk était pourtant prévenu. Dans un billet publié le 2 mars sur le blog du Lean Enterprise Institute (Cambridge, Massachusetts), Jeffrey Liker, professeur en génie industriel à l’université du Michigan et auteur du best seller «The Toyota Way» mettait en garde le patron de Tesla: «Si son succès a fait prendre conscience à l’industrie de la valeur d’un excellent design, en particulier dans les véhicules électriques, l'incapacité de Tesla à livrer la marchandise pourrait bien être sa perte.»
Le 7 février dernier, un Elon Musk confiant avait indiqué à ses actionnaires inquiets que «la force concurrentielle de Tesla à long terme ne sera pas la voiture : ce sera l'usine», avant d’appuyer son propos d’une analogie avec l’usine River Rouge (Michigan) de Ford qui a fait le succès du modèle T. Le théoricien du lean lui rétorquait alors que son erreur était d’oublier qu’en un siècle l’industrie automobile a changé et que les voitures ne sont plus ni des objets aussi simples que le modèle T, ni toutes identiques. «Dès que la complexité est apparue (avec les différents modèles, les options, l’électronique), le système d'Henry Ford s'est effondré», selon John Shook, président du Lean Enterprise Institute et ex-manager chez Toyota. Et l’homme sait de quoi il parle. Pour le constructeur japonais, il avait la charge d’accompagner les sous-traitant américains dans la mise en place du «Toyota Production System», concept à l’origine du «lean manufacturing» qui vise à éviter les gaspillages (temps, surproduction, stocks, transports…) dans les usines.
La flexibilité, une qualité humaine
Ce système de production qui vise flexibilité et frugalité s’appuie davantage sur les humains que sur les robots. Il prône notamment une amélioration continue «bottom-up» basée sur les rapports et alertes remontés par les ouvriers. Jeffrey Liker invitait en conclusion Elon Musk à «changer si Tesla veut réussir en tant que producteur de masse de véhicules, aussi bien conçus soient-ils. Il devra découvrir les valeurs fondamentales qui sous-tendent l'excellence opérationnelle, comme le développement des personnes, la construction d'une culture, l'amélioration continue, la gestion visuelle et l'appropriation des processus par les équipes de travail.»
Un mois et demi plus tard, le message a finalement été reçu par le milliardaire qui a arrêté la chaîne de production de la Model 3 ce 17 avril afin d’«améliorer l'automatisation et d’analyser systématiquement les goulots d'étranglement afin d'augmenter les cadences» rapporte BuzzFeed. Celui qui met régulièrement en garde l’humanité contre les dangers de l’intelligence artificielle n’avait vraisemblablement pas anticipé que grande automatisation est synonyme de faible agilité et que cela pouvait mettre en danger son business.