Le champ des possibles de l'agriculture de précision
Big data, drones ou capteurs connectés ouvrent la voie à une agriculture de précision, en mesure de booster la productivité des fermiers. Un domaine qui séduit les investisseurs et inspire des jeunes pousses suisses.
L’utilisation de nouvelles technologies numériques dans l’industrie agricole promet d’augmenter les bénéfices des producteurs et des multinationales agro-alimentaires, certes, mais pas seulement. En contribuant à accroître le rendement des cultures, les «agtech» offrent aussi des perspectives prometteuses face à ce qui s’annonce comme l’un des défis humanitaires majeurs de ce siècle: nourrir une population humaine qui, selon les prédictions de l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, dépassera les 9 milliards d’individus en 2050. Pour le relever, il sera nécessaire d’augmenter la production alimentaire d’au moins 60%, avertit l’organisme. Publié en 2014, un rapport de la Fondation Kauffman fait observer que seule l’innovation technologique est en mesure de relever ce gigantesque défi, tout en s’inscrivant dans une démarche de développement durable (notamment en réduisant les besoins en eau et pesticides). Mis en avant par les start-up qui se lancent sur ce créneau, ces arguments conjugués aux promesses de rendement séduisent de plus en plus les investisseurs.
Le boom de l’agriculture de précision
Selon le dernier rapport publié par la plateforme AgFunder en collaboration avec CrunchBase, les investissements en capital-risque dans les agtech sont en plein boom depuis deux ans, avec une croissance annuelle de 75% pour 2014 et 2015. Le total des capitaux VC investis dans le secteur en 2015 est estimé à 4,1 milliards de dollars. Un domaine a particulièrement le vent en poupe, celui de l’agriculture de précision, qui regroupe les outils d’aide à la décision exploitant le big data, les drones, les satellites ou encore les capteurs intelligents. En couplant les outils générateurs de données avec des logiciels d’analyse dédiés, fermiers et cultivateurs sont en mesure d’ajuster les moindres détails de leur production. En croisant des données historiques, actuelles et prévisionnelles, ils peuvent améliorer leur rendement en utilisant les ressources naturelles de manière plus efficace. En outre, les données issues de leurs exploitations peuvent être croisées avec celles d’autres agriculteurs, sur des bases de données collaboratives calquées sur le concept de l’open data. En 2015, Google Ventures misait sur ce type d’innovation en devenant le principal investisseur de la start-up californienne Farmers Business Network, réseau d’informations agronomiques qui exploite le big data et le machine learning.
Modèles prédictifs et plateforme communautaire
La Suisse aussi constitue un terreau fertile pour les jeunes pousses qui innovent dans l’agriculture de précision. A l’image d’Agricircle (Rapperswil), fondée en 2012, qui propose une solution en ligne de gestion de champs par l’intermédiaire de visualisation dynamique, en surimpression des terres de l’utilisateur sur des cartes satellite. L’interface permet une administration centralisée de différentes données de cultures, dont celles issues de l'échantillonnage du sol. Des modèles prédictifs de croissance sont aussi proposés, basés sur la corrélation des données spécifiques aux terrains avec des données historiques et météorologiques. La solution se présente en outre comme un réseau social de mise en connexion avec les fournisseurs de produits (engrais, pesticides), mais également avec d’autres fermiers, notamment dans le but de mutualiser l’utilisation des machines ou de faire des achats groupés.
Optimiser le taux de fertilisation des bovins
L’agriculture de précision englobe aussi des innovations qui évoquent les traqueurs et apps des adeptes de quantified-self, mais transposés au bétail. Des capteurs connectés aident par exemple les fermiers à mieux gérer leur élevage, en renseignant sur la température du corps de l'animal, son pouls ou son positionnement GPS. La société Anemon, basée à Saint-Imier (Jura bernois), s’est spécialisée sur ce marché. Son kit (un boîtier transmetteur et un capteur intravaginal) génère l’envoi d’un SMS à l’éleveur quand les variations de la température corporelle et l’activité indiquent qu’une vache est dans un état propice à l’insémination. Les courbes de température et d’activité sont enregistrées et consultables via une solution cloud. La firme explique que son système augmente significativement le taux de fertilisation d’un troupeau, permettant d’optimiser le rendement en réduisant les inséminations manquées.
Des capteurs pour contrôler la croissance des tomates
Les capteurs connectés mesurant l’état des sols et les dispositions physiologique des animaux d’élevage existent depuis déjà quelques années. Mais depuis peu, leurs pendants destinés aux végétaux ont aussi fait leur apparition. La start-up israélienne Phytech, dans laquelle a investi le géant de l'agroalimentaire Syngenta (basé en Suisse et désormais en mains chinoises), a ainsi mis au point des capteurs intelligents s’attachant à des légumes ou fruits. La moindre variation des dimensions des végétaux est mesurée, des données ensuite corrélées avec celles issues du sol et d’instruments de mesures microclimatiques (température, humidité, ensoleillement, pluie, direction et vitesse du vent, etc.) Phytech fournit aussi la plateforme logicielle, en mode cloud, servant à stocker et analyser ces différentes données.
Drones équipés de caméras hyperspectrales
Phénomène également en plein boom: l’exploitation de drones dans l’agriculture. Plusieurs start-up, dont Airinov (France), PrecisionHawk (USA) et Gamaya, basée à l’EPFL (lire l'interview de son CEO), misent sur cette approche, en développant des solutions sophistiquées d’imagerie par drones équipés de caméras ultra sensibles (hyperspectrales). Ces solutions permettent de créer des cartes de parcelles cultivées et de déduire des informations agronomiques précises, basées sur l’analyse des spectres de la lumière réfléchie. Les données sont traitées et analysées sur des plateformes spécifiques (propres ou tierces). Gamaya propose pour ce faire sa propre solution reposant sur un cloud hybride. Avec cette combinaison de technologies de pointe, il est possible d’établir des préconisations ciblées en termes de besoins d'eau et d'engrais, de connaître avec précision la vigueur d’une culture, d’inférer la présence de moisissure ou autres maladies et d’affiner l’épandage des produits en conséquences.
L’agriculture de précision ouvre à coup sûr des perspectives intéressantes en termes de défis démographiques, ainsi qu’au niveau environnemental et économique. Toutefois, un certain nombre de préoccupations émergent en parallèle. Un rapport de 2015 du cabinet Beecham, consacré au «smart farming», aborde notamment la question de la propriété et de l’utilisation des données générées par l’internet des objets dans l’agriculture. Qui possède les données collectées par des capteurs connectés ou embarqués? Les fermiers, les entreprises qui commercialisent ces solutions et dispositifs, dont notamment des fabricants de semences et de pesticides? Ou les géants du cloud? En prenant le contrôle du big data agricole, ces multinationales risquent d’exercer la mainmise sur l’alimentation à l’horizon 2050.
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