Le test des générations: natifs numériques versus migrants numériques
On affirme souvent que la les natifs numériques sont plus à l’aise avec les technologies de l’information que les adultes plus âgés. Les résultats d’une étude de usability réalisée par l’agence zurichoise Zeix montrent toutefois que l’écart entre les générations est étonnamment faible.
Zeix a mené une étude auprès de cinq représentants de chacun de ces deux groupes – les natifs et les migrants numériques – en les soumettant aux mêmes tâches à résoudre sur ordinateur. Les natifs numériques avaient entre 14 et 19 ans. Le groupe des migrants soumis au test d’utilisation était composé de personnes de 56 à 65 ans, disposant d’une expérience de 10 à 30 ans en informatique et ayant amplement assisté au développement technologique. En effet, pour l’étude des deux groupes, il était important de distinguer l’influence générationnelle de celle liée aux différences entre les internautes en herbe et les chevronnés.
Malgré une grande dispersion dans les deux groupes en termes de formation et de comportement social – du bachelier à l'immigrante, de l'ouvrier à la contrôleuse de gestion – le comportement d’utilisation des personnes testées s’est révélé similaire. Les cinq natifs avaient un compte Facebook contre deux pour les migrants. En revanche, le seul qui, outre Facebook, utilisait d’autres réseaux sociaux tels que Twitter, Myspace, Xing et LinkedIn, était un professeur d'une école de formation professionnelle. La fréquence d’utilisation de Skype, par contre, était plus ou moins la même dans les deux groupes. De grandes différences ont néanmoins été observées en matière de chats ou de messageries instantanées, nettement plus utilisés par les natifs. En revanche, les migrants utilisent davantage l’e-banking, le trading et les plateformes d’enchères, fait peu étonnant eu égard à leur revenu plus élevé.
Mais qui maîtrise mieux le média internet? Le test portait sur l’efficacité dans la recherche d’informations, la compréhension technique, l’aptitude à l’autoprotection, l’utilisation courante des applications de communication et la capacité à résoudre les problèmes.
La routine au détriment de l’intuitivité
Dans les premières questions, les personnes testées étaient invitées à consulter l’adresse de leur ami Kevin B. à Zurich et ensuite à trouver le moyen de parvenir à son domicile en transports publics. Les participants étaient libres de choisir leur trajet. Les migrants ont résolu cette tâche sur le web avec une routine manifeste. Ils ont tout d’abord cherché l’adresse dans un annuaire téléphonique, puis l’ont visualisée sur une carte et ont ensuite cherché la correspondance menant à l’arrêt le plus proche. Pour les natifs, en revanche, la difficulté de cette tâche s’est avérée disparate. Normalement, ils auraient demandé l’adresse à leur connaissance par SMS. Ils ont mis nettement plus de temps sur internet que les migrants. Deux adolescents ont même dû solliciter de l’aide pour venir à bout de l’exercice. Il leur a fallu en effet tout d’abord un certain temps avant de trouver un annuaire téléphonique.
Seul un élève de 15 ans a directement cherché un annuaire téléphonique sur le web, alors que les autres ont simplement saisi le nom de la personne sur Google, en vain. Les natifs ont dû se rendre à l’évidence que leur copain n’était pas inscrit sous son propre nom dans l'annuaire et que, par conséquent, il n'y avait aucun résultat correspondant à la recherche des prénom et nom. Sur les cinq adolescents, trois ont compris seulement après réflexion que, s’ils étaient inscrits eux-mêmes dans l’annuaire téléphonique, ils devraient seulement chercher le nom de famille. Après avoir obtenu l’adresse, ils ont en général réussi à trouver une correspondance de transports publics sans problème, puisque la plupart d’entre eux avaient déjà effectué une telle recherche auparavant. Seule la plus jeune des personnes testées, une fille de 14 ans, n'avait encore jamais fait cette opération et s'est trompée dans le tableau horaire au départ de sa gare, sans trouver une liaison correspondante.
Google est trans-générationnel, mais pas la cyberadministration
Les résultats entre les groupes se sont avérés moins extrêmes dans le cas de la préparation d'un voyage. Toutes les personnes, jeunes et moins jeunes, ont ainsi trouvé rapidement par une recherche Google qu’une carte d’identité suffit pour se rendre en Turquie, le passeport n’étant pas nécessaire. Mais qu’en est-il du traitement des informations et de l’acquisition de connaissances? Pour le savoir, Zeix interrogé les participants sur la marche à suivre pour renouveler sa carte d’identité.
Toutes les personnes testées ont rapidement trouvé la page correcte expliquant qu’elles pouvaient demander leur carte d’identité dans leur commune et quels étaient les documents à fournir. Malgré tout, cette information a échappé à des membres des deux groupes, qui ont rapidement cliqué sur passeportsuisse.ch et se sont perdues dans le formulaire d’inscription en ligne pour obtenir un nouveau passeport biométrique. Un problème auquel ont été confrontés aussi bien deux migrants que deux natifs. Tendanciellement, cet exercice s’est cependant avéré beaucoup plus facile pour les migrants qui, en raison de leur âge, s’étaient déjà procuré plusieurs fois des documents de voyage et savaient grosso modo comment procéder. L’expérience avec les applicatifs nécessaires a donc penché dans la balance, tout comme la connaissance des termes et des institutions.
Communication 2.0, 1:0 pour les natifs
En ce qui concerne l’utilisation des nouveaux canaux de communication, les natifs numériques présentaient un net avantage. S’ils ont dû faire face aux mêmes problèmes de usability que les migrants, leurs représentations du mode de fonctionnement des services étaient néanmoins beaucoup plus concrètes.
Les personnes testées ont dû entreprendre les opérations nécessaires afin de pouvoir skyper avec leur copain Kevin B. Quatre des cinq adolescents et deux des migrants connaissaient déjà Skype et l’avaient déjà utilisé à plusieurs reprises avant le test, même si de façon irrégulière. Les dix personnes ont été capables de télécharger et d'installer Skype sans trop de détours. Les utilisateurs devaient se réenregistrer au lieu d’utiliser leur données d’accès existantes, et cette opération à posé problème dans plusieurs cas. En effet, Skype propose des pseudos sur la base du nom saisi. Deux natifs et un migrant ne l’ont pas vu et n’ont pas pu se connecter par la suite, car ils ne connaissaient pas le nom d’utilisateur attribué.
Pour l’inscription, une nette différence a été observée entre les natifs et les migrants: les premiers ont exclusivement saisi les champs d’inscription obligatoires et désactivé la case à cocher pour l’abonnement à la newsletter. Quatre des cinq migrants testés ont, en revanche, complété presque tous les champs du formulaire de profil et laissé la case cochée par défaut pour l’abonnement à la newsletter. Ce résultat contredit l'idée reçue selon laquelle la protection des données et la sphère privée ne jouent aucun rôle pour les natifs. Les cinq natifs ont déclaré se montrer très réticents à la diffusion de données personnelles sur la Toile. En général, ils remplissent uniquement les champs obligatoires et, le cas échéant, saisissent de fausses données lorsqu’ils ne souhaitent pas révéler certaines informations comme leur numéro de mobile ou leur adresse.
Les natifs numériques maîtrisent les réseaux sociaux – dans la plupart des cas
Pour les natifs, ajouter un nouveau contact sur Skype n'a posé aucun problème parce qu’ils utilisent également le concept de demande et de confirmation dans d'autres réseaux sociaux comme Facebook, Foursquare ou des messageries instantanées. Par contre, pour les migrants qui n’avaient jamais utilisé Skype auparavant, le principe ne leur était pas familier. Ils ont simplement supposé que Kevin n’était pas connecté à ce moment-là. Et même après que Kevin a confirmé la demande de contact, les deux migrants novices de Skype n'ont pas été en mesure de trouver et d’utiliser la fonction chat.
L’un d’entre eux, un employé de banque retraité et âgé de 62 ans, n’a pas compris le concept de Skype jusqu’à la fin, puisqu’il était persuadé qu’il fallait d’abord acheter un crédit de communication avant de pouvoir utiliser le logiciel.
Un autre exercice consistait à publier des photos d’une soirée sur Facebook, en s’assurant qu’une seule personne puisse les voir. Il s'agissait ici de tester principalement l’utilisation de Facebook en tant que plateforme de communication et la protection de la sphère privée. Tous les adolescents et deux des adultes plus âgés avaient un compte sur Facebook, bien que seuls les natifs se connectent plusieurs fois par semaine.
Les obstacles de utilisability concernent tout le monde
Toutes les personnes testées sont parvenues à télécharger des photos, mais elles ont aussi toutes buté sur les mêmes obstacles de usability. Ainsi, Facebook utilise, par exemple, dans la boîte de dialogue de chargement de photos, une capture d’écran (voir la capture d’écran) permettant d’expliquer la sélection multiple des fichiers. La première impulsion de toutes les personnes testées a été de cliquer sur le bouton «open» de la capture d'écran avant de se rendre compte de l'erreur et de cliquer sur «sélectionner les photos».
Ensuite, pour autoriser l’accès du nouvel album à une certaine personne, les problèmes suivants se sont posés: si l’on saisit un contact dans le champ «certaines personnes» qui ne figure pas encore dans sa liste d’amis ou dont l’invitation n’a pas encore été confirmée, Facebook n'envoie aucun message d’erreur ou d’instruction mais modifie simplement le paramètre de confidentialité à «moi uniquement». Tous les natifs ont surmonté cet obstacle, tandis que l'un des deux migrants familiarisés avec Facebook ne l'a pas vu et n'a, par conséquent, pas pu terminer l’exercice.
Dans l’ensemble, c’est dans l'utilisation des réseaux sociaux que des différences flagrantes entre les natifs et les migrants ont été constatées. Les natifs n’ayant jamais utilisé Skype auparavant ont pu, dans le cadre du test, ajouter des contacts et échanger des messages textes, étant donné qu’ils en connaissaient le principe par des applications similaires. Les migrants, en revanche, ont eu de la peine à utiliser ces logiciels, du fait qu’ils accèdent nettement moins souvent à leur compte sur les réseaux sociaux ou qu’ils manquent d’expérience en la matière.
Ces résultats démontrent là aussi que la clé du succès pour les natifs numériques réside dans leur pratique d’un type de service et non pas dans leur compréhension technique ou leur maîtrise des obstacles de usability.
«Malware trouvé» – et ignoré
Un facteur essentiel pour la compréhension technique dans l’utilisation d’internet est le comportement face à de possibles menaces informatiques. Dans l’exercice suivant, il s’agissait de mettre en exergue la différence entre les deux groupes en matière de compréhension technique et d’évaluation des risques liés à la sécurité. Pour ce faire, les personnes testées ont été confrontées au cours du test de usability à un message d’alerte du programme antivirus. Ce dernier annonçait avoir trouvé un malware, avoir bloqué l’accès au fichier infecté et proposait de le supprimer immédiatement.
La réaction des participants au test à ce message s'est avérée surprenante: la moitié d’entre eux a complètement ignoré la notification – natifs et migrants confondus. Après avoir lu le message, l’autre moitié a cliqué sur «supprimer», confiante dans le fait que le programme antivirus éliminerait totalement l’intrus. Personne ne savait que cette procédure n’était aucunement sûre et que des programmes nuisibles pouvaient se nicher dans le système bien avant qu’ils ne soient découverts, téléchargeant d’autres programmes malveillants sur l’ordinateur. Ni le fait d’avoir grandi avec internet ni une expérience de plusieurs dizaines d’années n’ont ici conféré d’avantage.
Un mythe se dissipe
Les résultats coïncident avec les expériences de Zeix dans le desing centré sur l’utilisateur : la connaissance de certains services en ligne, produits et procédés joue un rôle plus important dans l’utilisation d’internet que l’appartenance à un groupe d’âge déterminé. Le test montre que la jeune génération ne dispose ni d’une meilleure compréhension technique, ni ne trouve ou ne traite les informations plus rapidement. En ce qui concerne les risques liés à internet, les adolescents ont montré de l’avance dans la préservation de leur sphère privée, tandis qu'ils ne connaissaient pas davantage les risques techniques que les migrants.
Autre phénomène frappant, les écarts de maîtrise importants constatés au sein d’un même groupe d’âge et ce aussi bien chez les natifs que chez les migrants.
Les obstacles de usability posent autant de problèmes aux natifs qu’aux migrants. L’affirmation commune selon laquelle la usability est moins importante pour les jeunes parce qu’ils savent de toute manière manipuler les outils informatiques est donc un mythe.
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