Règlementation

Le Conseil fédéral choisit une règlementation light pour l’IA

Le Conseil fédéral s’appuiera sur la Convention du Conseil de l’Europe pour la règlementation suisse sur l’IA. Centré sur les droits et les risques, le texte cible en premier lieu l’emploi de l’IA par les pouvoirs publics et laisse passablement de latitude aux usages des entreprises. Les modifications juridiques et mesures non-contraignantes ne sont pas attendues avant 2027.

(Source: r.nial.bradshaw sur Flickr)
(Source: r.nial.bradshaw sur Flickr)

Le Conseil fédéral a choisi son approche pour la règlementation de l’intelligence artificielle. Entre la posture règlementaire caricaturée de l’Europe et le laisser-faire étasunien, entre les demandes des associations économiques de ne pas brider l’innovation au risque de pénaliser la prospérité, et celles d’AlgorithmWatch et d’autres d’agir contre les discriminations, l’exécutif a trouvé une voie moyenne et décidé de ratifier la Convention du Conseil de l'Europe sur l'intelligence artificielle. 

La réglementation dans le domaine de l'IA vise trois objectifs, explique ainsi le Conseil fédéral: le renforcement de la Suisse comme lieu d'innovation, la protection des droits fondamentaux, y compris de la liberté économique, et l'amélioration de la confiance de la population en l'IA.

Un cadre flexible centré sur les droits et les risques

Adoptée au printemps 2024 en présence d’Ignazio Cassis, la Convention du Conseil de l’Europe sur l’IA est à la fois contraignante pour les États qui la ratifient, en même temps qu’elle leur laisse une grande latitude dans la façon de l’interpréter. Elle se concentre sur le respect des normes internationales en matière de droits de l’homme, de démocratie et d’Etat de droit. Elle fixe des principes (autonomie personnelle, non-discrimination, respect de la vie privée et protection des données à caractère personnel, transparence, fiabilité, etc.) et exige des mécanismes d’évaluation des risques et des impacts négatifs de l’IA. Contrairement à l’AI Act européen, la Convention du Conseil de l’Europe n’interdit en revanche aucune application IA spécifique.

Approche sectorielle pour les entreprises

Les exigences de la Convention ne s’appliquent directement qu’aux pouvoirs publics. S’agissant des entreprises, les États sont libres des mesures qu’ils prennent pour se conformer aux dispositions du traité. Ils peuvent par exemple renoncer à exiger que les entreprises procèdent à l’évaluation des risques et impacts de l’IA. 

Le Conseil fédéral indique dans son communiqué qu’il veillera à ce que les modifications légales soient aussi sectorielles que possible, à l’exception de celles touchant aux droits fondamentaux. Il dit vouloir également élaborer des mesures juridiques non contraignantes, comme des accords d'auto-déclaration ou des solutions sectorielles.

Enfin, si l’approche règlementaire du Conseil fédéral est «light», son calendrier est lui très «slow». Les départements du gouvernement concernés ont jusqu’à fin 2026 pour déterminer les mesures juridiques nécessaires et proposer des mesures complémentaires non-contraignantes. Un cadre légal sûr ne devrait donc pas émerger avant 2027 

Réactions ambivalentes

Du côté des milieux économiques, les réactions sont positives. Economie Suisse juge la démarche clairvoyante et salue une réglementation de l'IA technologiquement neutre et ciblée de nature à renforcer et développer les facteurs de succès de la Suisse: «Notre pays peut et doit suivre sa propre voie: une voie qui reconnaît les spécificités suisses tout en garantissant la compatibilité avec les principaux partenaires commerciaux, en particulier l'UE». 

Le ton est le même chez SWICO. «L'innovation a besoin de liberté. Oui à des règles du jeu claires - mais pas à une bureaucratie débordante. Nous saluons le fait que le Conseil fédéral mise sur des mesures volontaires.  Nous sommes favorables à une économie numérique dynamique et à une place économique suisse compétitive», déclare son CEO Jon Fanzun L’association de fournisseurs IT appelle par ailleurs l’exécutif à mettre en œuvre la Convention avec discernement, à développer des espaces d’expérimentation libre (bacs à sable règlementaires), et à garantir l’accès aux ressources nécessaires, à commencer par les puces.

Aux avant-postes de ceux qui réclamaient de lutter contre les discriminations, Algorithmwatch Suisse qualifie en revanche l’approche du Conseil fédéral de «peu ambitieuse». L’organisme dit craindre une mise en œuvre timide dans le domaine des entreprises, par exemple en ce qui concerne la protection contre la discrimination dans le recrutement et sur le lieu de travail, dans les assurances ou dans les contrôles de solvabilité. «L’approche choisie par le Conseil fédéral donne l'impression d'une réglementation à la carte qui vise avant tout à assurer la «flexibilité» aux entreprises, au lieu de placer les intérêts et les droits de la population au centre des préoccupations», déclare Angela Müller, directrice d'AlgorithmWatch CH.
 

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