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Julia Aymonier, EHL Group: «Nous voulons implémenter une innovation par mois»

Nommée Chief Digital Officer de l’EHL Group (Ecole hôtelière de Lausanne) après quatre ans passés au poste de CIO, Julia Aymonier parle de la myriade de projets d’innovation qu’elle dirige et des challenges à relever pour les mener à bien.

Julia Aymonier est Chief Digital Officier de l'EHL Group (Ecole hôtelière de Lausanne) depuis mai 2019. (Source: ICTjournal)
Julia Aymonier est Chief Digital Officier de l'EHL Group (Ecole hôtelière de Lausanne) depuis mai 2019. (Source: ICTjournal)

Dans quelles circonstances êtes-vous passée d’une fonction de directrice informatique à celle de Chief Digital Officer?

Quand je suis arrivée à la tête de l’IT de l’Ecole hôtelière de Lausanne il y a quatre ans, j’ai constaté que beaucoup de choses pouvaient être améliorées. Il a notamment fallu remettre en place la sécurité ainsi qu’une équipe en mesure de gérer les logiciels. En parallèle, il y avait une forte demande de Michel Rochat, le CEO du Groupe, pour innover davantage et exploiter les nouvelles technologies. Mais il n’était pas évident de consacrer du temps et des ressources pour innover alors que notre temps était consacré à soutenir la croissance d’une institution de l’envergure de l’EHL, qui n’est plus juste une école, mais un groupe d’éducation international. Ici, l’opérationnel couvre aussi un hôtel, des restaurants, du marketing, de l’événementiel, les finances, les RH, etc. J’ai tout de même toujours pu accorder une petite partie de mon temps aux projets d’innovation. Après quatre ans, Michel Rochat a estimé que la partie opérationnelle répondait aux besoins et que le moment était venu d’accélérer la transformation digitale de l’école. J’ai dans ce cadre été nommée au poste nouvellement créé de Chief Digital Officer, tandis que la partie opérationnelle a été confiée à une équipe Digital Services. Je dirige aujourd’hui six personnes, une assistante de direction, un développeur, un business analyst et des chefs de projets. Nous nous sommes donné pour objectif d’implémenter une innovation par mois.

Les idées ne manquent pas mais se confrontent à la résistance au changement.

Sur quels domaines se focalisent vos projets d’innovation?

Mon mandat consiste à évangéliser nos campus et l’industrie sur les possibilités du digital dans des domaines multiples, qu’il s’agisse d’innover au niveau des opérations, d’aider le personnel dans ses tâches, de digitaliser l’enseignement pour s’adapter aux attentes des jeunes générations et d’apporter de nouveaux services aux étudiants. Les idées ne manquent pas mais se confrontent à la résistance au changement des générations plus âgées. En 2016, mes équipes avaient réalisé le POC (proof of concept) d’une solution d’automatisation du processus d’onboarding des étudiants à l’aide de l’assistant virtuel Amelia d’IPSoft. Les démarches administratives pour les futurs étudiants sont complexes et trouver les bonnes informations en fonction des différentes nationalités est un vrai casse-tête. Le POC montrait qu’un assistant virtuel est capable de répondre par tchat à de nombreuses questions et de pré-remplir les formulaires pour les étudiants en puisant dans les données de notre CRM. Le chatbot indiquait également sur Google Maps où se rendre pour faire valider les documents. Mais ce projet a suscité le rejet de certains collaborateurs. Cette réaction m’a servi de leçon: j’ai compris l’importance de montrer clairement que les projets d’innovation ne menacent aucun poste. Au contraire, ils donnent l’opportunité à l’humain de se concentrer sur des tâches à plus grande valeur ajoutée.

Comment avez-vous fait émerger une prise de conscience sur les bénéfices potentiels de l’IA pour l’EHL Group?

Nous avons utilisé le même logiciel d’assistant virtuel pour indiquer aux visiteurs comment se connecter sur le Wifi. La nouvelle procédure a soulagé le support IT qui devait auparavant régulièrement intervenir car les informations étaient envoyées par des SMS qui n’étaient souvent pas reçus par les visiteurs. L’assistant virtuel a ensuite été paramétré pour pouvoir gérer également des problèmes de comptes bloqués à cause de mots de passe perdus. Ces cas d’usage m’ont aidé à convaincre tout le monde que l’intelligence artificielle ne mène pas à des pertes d’emplois, mais sert surtout à prendre en charge des tâches considérées comme ennuyeuses. Mon premier livrable en tant que CDO va dans ce sens. Il se base toujours sur Amelia, à qui nous avons appris à répondre à 80% des questions posées tous les six mois lors des procédures d’admissions au programme de Bachelor. S’il ne sait pas répondre à une question, l’assistant virtuel est capable de passer le relai au service des admissions. Les collaborateurs sont ravis de pouvoir ainsi se concentrer sur des renseignements plus complexes.

Quels challenges avez-vous rencontré dans le déploiement de votre assistant virtuel?

Il a fallu faire comprendre au fournisseur qu’il ne sait pas nécessairement comment sa solution peut être implémentée au mieux pour nos besoins spécifiques. Nous avons ainsi dû insister pour ne pas simplement faire reproduire par tchat toutes les informations déjà présentes sur notre site. Une autre difficulté consiste à prévoir les différentes façons possibles de poser une question sur un même sujet. Mes collaborateurs ayant été formés par le fournisseur, nous pouvons désormais affiner le système, en collaboration avec les étudiants. Leurs retours sont précieux et nous aident à entraîner l’intelligence artificielle en imaginant un maximum de scénarios possibles.

A l’aide du machine learning nous souhaitons identifier les indicateurs d’un risque d’échec.

Planifiez-vous d’utiliser l’intelligence artificielle ailleurs qu’avec les assistants virtuels?

Oui, nous souhaitons aussi utiliser l’IA au-delà des capacités de traitement du langage naturel. Notamment en analysant les données historiques des étudiants afin d’identifier à l’aide du machine learning les indicateurs d’un risque d’échec. En sachant si un étudiant de tel âge, avec tel niveau de notes et tel cursus, risque de connaître des difficultés dans une matière spécifique, cela permettrait de prévenir l’échec en amont avec des mesures d’accompagnement appropriées.

L’IA et les technologies d’automatisation pourraient bouleverser les métiers de l’accueil. Les formations de l’EHL anticipent-elles ces changements?

Les jobs manuels ne seront pas beaucoup touchés. Ni certains profils très spécifiques, par exemple sommelier ou concierge, chez qui le contact humain prime. Mais entre ces deux extrêmes, une partie des tâches risque effectivement d’être prise en charge par des machines. Dans ce contexte, les profils à valeur ajoutée seront des diplômés disposant au moins de connaissances de base en data science ou en IA. C’est pour cette raison qu’il me paraît important d’impliquer les étudiants dans le développement de solutions innovantes, par exemple dans les processus d’entraînement de notre assistant virtuel. Il ne s’agit pas de tâches très techniques mais qui demandent de savoir comment traduire des connaissances business pour ces systèmes. Ce type de profils hybrides, capables de porter une double casquette et de gérer simultanément humains et machines, seront très recherchés sur le marché.

Il me paraît important d’impliquer les étudiants dans le développement de solutions innovantes.

Vous avez introduit un programme de réalité virtuelle pour un cours. Dans quel but?

Il y avait de la résistance à cette idée au début. Mais je suis têtue! Après une année de discussions, mon équipe a fini par faire accepter l’idée d’un serious game en réalité virtuelle. Sa force est de proposer un apprentissage ludique au sein de la formation en housekeeping, des cours pratiques que les étudiants n’aiment généralement pas trop. Ce jeu permet de s’immerger dans la procédure de vérification d’une chambre d’un hôtel cinq étoiles. Divers scénarios amènent les étudiants, équipés d’un casque Oculus, à observer la chambre en détail pour repérer dans les temps un certain nombre de défauts, par exemple un téléphone mal posé, un coussin manquant, un cadre de fenêtre sale, etc. Le score obtenu est compris dans le calcul de la note finale. L’exercice inculque aussi l’esprit d’équipe, les autres étudiants pouvant suivre la progression sur un moniteur et donner des conseils. Nous souhaitons désormais faire évoluer cet outil pour l’utiliser dans d’autres cours.

Quelles autres nouvelles technologies expérimentez-vous?

Nous aurons un campus à Singapour, où la loi demandera aux instituts de formation de pouvoir prouver que les étudiants assistent bel et bien au cours. Pour répondre à ce besoin, nous collaborons avec la start-up vaudoise Matchmore pour mettre au point une solution de géolocalisation qui pourra valider la présence des étudiants en classe (évidemment dans le plus grand respect des lois sur la confidentialité). L’idée est aussi de lier cette technologie à notre système de gestion des étudiants pour automatiser l’envoi d’un rappel sur leur smartphone. Nous allons par ailleurs intégrer des fonctionnalités de virtual classroom dans le cadre d’un MBA qui mixe cours offline et online. La même technologie pourra aussi être exploitée par le groupe, afin d’améliorer les communications entre les différents campus. Je m’intéresse également beaucoup aux hologrammes: ce serait par exemple génial de pouvoir capturer à l’aide de cette technologie les contributions d’experts ou chefs de renom. Leurs interventions pourront ainsi leur survivre.

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