«Plus j’avance dans ma carrière, plus les femmes se font rares»
Data Scientist chez Sqooba, Marta Martinez-Camara est aussi co-fondatrice de l’association GirlsCoding qui encourage les jeunes filles à apprendre l’informatique. Elle explique les nombreux freins à voir davantage de femmes travailler dans l’IT, tout en reconnaissant certains progrès.
Quelle est votre expérience de carrière dans l’informatique en tant que femme?
Je crois que j’ai réussi à devenir une bonne ingénieure. J’ai toujours eu la chance d’apprendre et de travailler avec des personnes incroyables, qui m’ont soutenue à 100%. Tout est une question de réussir à trouver son équipe ainsi qu’un environnement propice pour soi. Il est vrai que plus j’avance dans ma carrière, plus les femmes se font rares. Durant mon doctorat, nous n’étions que deux femmes dans le labo. Actuellement, je suis la seule femme de mon entreprise, et 95% du temps la seule femme présente lors de meetings avec d’autres organisations. Ce n’est pas facile, on se sent «différent», comme une anomalie. Toutefois, et même si c’est parfois dur, je sais à quel point il est important que je sois présente. Mon domaine a besoin de davantage de diversité.
Que faites-vous pour encourager la diversité et les femmes au sein de votre organisation?
En premier lieu, je suis là. Je travaille dans une start-up jeune et relativement petite, où nous sommes tous ingénieurs. Avant que je sois engagée, il n’y avait que des hommes, mais lorsque je les ai rejoints, la dynamique a changé. Tous mes collègues ont réalisé à quel point il était nécessaire d’inclure plus de femmes dans l’équipe. Je n’ai pas eu à les convaincre, ils l’ont compris. Nous essayons activement d’engager plus de femmes, mais le problème de fond persiste: il n’y a que peu de femmes ingénieures. Sur 80 CV que l’on reçoit, il n’y a que deux ou trois femmes. De plus, mes collègues me soutiennent tous et travaillent avec moi sur GirlsCoding.org, une initiative que j’ai commencée avec mon amie Miranda Krekovic, pour encourager les jeunes filles à apprendre et à aimer l’informatique. Ainsi, mes collègues ont tous des autocollants «GirlsCoding» sur leurs ordinateurs portables. Ça peut sembler un détail, mais voir chaque jour ces autocollants m’encourage; ils me rappellent que je suis soutenue, qu’ils aimeraient aussi avoir plus de diversité au travail.
A votre avis, pourquoi les initiatives pour promouvoir les femmes dans le domaine IT ne rencontrent-elles que peu de succès?
Parce que changer les mœurs est un travail titanesque, impliquant beaucoup d’acteurs sous différents angles. Lorsque nous avons un atelier «GirlsCoding» avec les filles, nous sommes toujours impressionnées par leur talent, elles sont vraiment douées. Le talent est là, ce n’est pas du tout ça le problème. En revanche, l’image des ingénieurs et de l’informatique dans la société est un problème: beaucoup imaginent un développeur comme quelqu’un vêtu de noir, assis seul dans sa cave, et travaillant la nuit. Et bien sûr, les jeunes filles ne s’identifient pas à cela. Pourtant ce n’est pas la réalité! Je ne porte jamais de noir, je ne travaille jamais dans une cave durant la nuit, et jamais seule! Mais changer cette image n’est pas facile, cela prend du temps. Le chemin vers le changement est lent, mais nous en avons déjà parcouru une bonne part. Les femmes ingénieures, de trente ans mes aînées, me disent par exemple qu’il aurait été impossible pour elles lorsqu’elles étaient jeunes d’avoir un soutien comparable à ce que nous avons aujourd’hui.
Quels conseils donneriez-vous aux femmes désireuses de faire carrière dans l’IT?
Je leur dirais de toujours suivre leur cœur, de faire ce qu’elles aiment. Cela peut vouloir dire plusieurs choses. J’ai par exemple étudié l’informatique en parallèle à mes études de saxophone. Mes compétences ont été enrichies par la musique, et cela vous ne l’apprenez pas dans les écoles d’ingénieurs. La musique fait de moi une meilleure ingénieure.
Le monde du travail se transforme, y compris dans le domaine IT. Ces changements vont-ils créer de nouvelles opportunités pour les femmes?
Soyons clairs: en Suisse, sous la législation fédérale, les mères employées ont le droit à un congé maternité, mais il n’y a aucune loi garantissant le droit au congé paternité. C’est donc la mère qui va devoir faire le plus dur pour combiner la vie de famille et le travail. Heureusement, de plus en plus d’entreprises offrent un congé paternité, mais cette décision repose sur chaque employeur. Sans oublier les inégalités salariales et le fait que les femmes ont bien moins d’emplois à haut niveau que les hommes. Selon un rapport de The Economist, la Suisse compte parmi les pires endroits où travailler pour les femmes. Donc les choses changent doucement, mais il y a encore beaucoup de travail.