«La Poste dépense environ 430 millions par an pour des investissements prospectifs»
Claudia Pletscher est responsable de l'innovation à La Poste Suisse. Dans un entretien accordé à nos confrères de la Netzwoche, elle lève le voile sur les évolutions de l’entreprise, les technologies sur lesquelles elle s'appuie et confie ce que compte faire La Poste Suisse avec la Blockchain et l’intelligence artificielle.
Comment La Poste Suisse a-t-elle évolué depuis votre arrivée il y a 4 ans au poste de responsable de l’innovation?
Tout au long de son histoire, La Poste Suisse a été une entreprise innovante. Elle n'a cessé de changer et a contribué à façonner de nouvelles idées et de nouveaux développements. Aujourd'hui, la complexité des technologies et la nécessité de développements rapides exigent beaucoup plus de coopération et de partenariats que par le passé. Nous nous sommes fortement développés sur cet axe ces dernières années. Par ailleurs, nous associons encore plus étroitement qu’auparavant nos propres collaborateurs aux processus de développement. Ils peuvent faire remonter des sujets du terrain et contribuer ainsi à activement à des projets de transformation.
Quel projet vous tient particulièrement à coeur personnellement?
Il y en a quelques-uns, par exemple notre projet de drone avec l'hôpital de Lugano, qui est très réussi. Nous avons de nombreuses autres demandes de renseignements de la part d'hôpitaux intéressés. Parmi les projets de plate-forme, le vote électronique est l'un des plus intéressants.
Y a-t-il eu des échecs?
Il y en a tous les jours (rires). Les échecs sont importants parce qu'ils nous font apprendre énormément. Dans le projet de drone, nous avons évalué diverses pistes au début, puis décidé de ne pas poursuivre, peu de temps avant la phase d'approbation. Cela nous a fait reculer d'un an. Néanmoins, nous sommes aujourd'hui la seule entreprise au monde à proposer le transport commercial avec des drones.
Quels sont les prochains domaines technologiques auxquels vous allez vous intéresser?
Un vaste sujet est l'Internet des objets. Nous en avons grandement besoin dans le domaine de la logistique. Pour le suivi et le traçage de contenus fragiles par exemple. Une deuxième tendance sur laquelle nous travaillons déjà est l'intelligence artificielle. L’IA intervient notamment avec la robotique dans la gestion de documents, avec la numérisation et le traitement de millions de pages.
Utilisez-vous également l'IA dans d'autres domaines?
Oui, par exemple dès que nous savons où se trouve un envoi, nous pouvons mettre en œuvre une planification intelligente des itinéraires et optimiser les livraisons individuelles. L’intelligence artificielle nous permet d'offrir un meilleur service aux clients en leur offrant des livraisons plus rapides et plus flexibles - où qu'ils se trouvent.
Quels sont vos partenaires dans ce domaine?
Comme sur presque tous les sujets, nous travaillons avec des start-ups ainsi qu'avec des entreprises établies, internationales et suisses. Nous coopérons aussi avec des universités et des hautes écoles comme l’EPFZ ou l'Université de Fribourg. Ces partenaires participent activement à l'élaboration et aux tests de nos cas d'usage.
La blockchain est-elle un sujet pour La Poste Suisse?
Oui, absolument. Pour la logistique notamment. Un projet de blockchain est d’ailleurs en cours avec la start-up zurichoise Modum. Au moyen d'une chaîne de blocs, nous veillons à ce qu'un certain seuil de température ne soit pas dépassé lors d'une livraison. De cette façon, nous pouvons prouver au client que la chaîne du froid a été respectée tout au long de la supply chain. Le client connaît aussi en permanence l'état de sa livraison.
Les grandes entreprises ont du mal à innover. Comment La Poste Suisse relève-t-elle ce défi?
La Poste Suisse jouit d'une grande confiance au sein de la population, qu'il ne faut pas mettre en péril à coup d’expérimentations. En tant que troisième plus grande entreprise de Suisse, nous ressemblons davantage à un cargo qu'à un voilier. Nous devons en tenir compte. Cependant, comme le montrent les exemples dont nous avons discuté, nous nous en sortons plutôt bien. Des outils viennent aussi nous aider dans le processus d'innovation. Par exemple l’étiquette “Early Label” qui signale aux clients qu'un produit est encore en phase de test. Cela donne aux clients et aux employés la possibilité de s'impliquer dans le processus de développement par le biais d'un retour d'information.
Quelles sont les innovations demandées par les clients de La Poste Suisse?
Les clients demandent rarement activement des innovations. Ils attendent simplement cette valeur ajoutée et veulent les solutions les plus conviviales et les plus modernes possibles. La Poste Suisse veut répondre à ces exigences. Sur ce terrain, les innovations numériques offrent souvent des solutions étonnantes, comme la redirection interactive du courrier via une app vers un nouveau point de collecte.
Comment impliquez-vous vos employés dans le processus d'innovation?
Très directement. Nous disposons d'une plate-forme boîte à idées sur laquelle les 60’000 collaborateurs de La Poste Suisse peuvent déposer leurs suggestions. Nos employés ont une connaissance approfondie des besoins de nos clients. 1 million de contacts clients par jour, cela représente beaucoup de feedbacks et d'opportunités pour améliorer nos services. Nos employés sont très motivés à participer.
Comment gérer la résistance au changement?
Dans mon travail quotidien, je rencontre davantage de critiques constructives que de résistances. Pour nous, il est très important d'être dans un dialogue direct et d’embarquer les employés et les partenaires dans nos projets. La Poste Suisse est très diversifiée: banque, logistique, mobilité et communication. Nous dépendons dans toutes ces disciplines de l'expertise de spécialistes dont j'apprécie les analyses critiques si elles sont formulées clairement et débouchent sur une approche commune.
Comment gérer l'équilibre entre un prestataire de services publics et une entreprise à but lucratif?
Nous avons le mandat de garantir un service public dans des domaines clairement définis. Ce que La Poste Suisse fait d'ailleurs avec beaucoup de succès. Toutefois, nous ne pouvons le faire que si nous réalisons également des bénéfices dans d'autres domaines. Sans quoi, La Poste ne serait pas en mesure de financer elle-même le service public attendu. Aujourd'hui, nous dépensons environ 400 millions de francs rien que pour maintenir le statu quo. Nous payons cela de notre poche, ce qui n'est possible que par les profits.
Quel montant La Poste consacre-t-elle chaque année à la R&D?
De part notre diversification sur quatre marchés, nous n'avons pas de département central de recherche & développement. Il est donc très important que chaque équipe de product management effectue ses propres recherches. Ce que l'on peut dire, c'est que La Poste Suisse dépense environ 430 millions de francs par an pour des investissements prospectifs. Ce chiffre inclut également le budget de la recherche.
Avant vous étiez chez IBM. Quelles différences entre La Poste et une entreprise américaine?
Beaucoup de choses... même si les sujets et les technologies sont fondamentalement les mêmes. La Poste Suisse est une entreprise suisse pour laquelle travaille une personne sur 100 dans le pays. C'est pourquoi de nombreux Suisses s'y identifient très fortement. Nous ressentons ce lien et cela nous motive dans notre travail quotidien. Mais au-delà de l'engagement, c'est aussi un défi pour une entreprise en constante transformation. Une entreprise internationale n’est pas aussis exposée publiquement. Nous devons nous renouveler, non pas pour le plaisir, mais parce que le marché et la concurrence l'exigent. Il faut faire preuve de sensibilité au quotidien et impliquer la population de façon plus active et étroite que ne le ferait une multinationale.
Quels nouveaux projets s'offrent à vous en tant que responsable de l'innovation?
Nous avons des sujets passionnants dans le domaine de la Smart City, où la mobilité et la logistique sont au premier plan. Avec nos partenaires, nous voulons offrir des solutions plus rapides et plus flexibles. Je ne saurais trop insister sur l'Internet des objets. Nous utilisons cette technologie depuis environ deux ans et nous avons un bon partenariat avec Swisscom.
Reconnaîtrons-nous La Poste dans dix ans?
Je pense que oui. La Poste Suisse a une mission très importante pour la société, les entreprises et les autorités locales. Nous sommes le partenaire de confiance qui garantit un transport fiable des informations confidentielles. Cela devient de plus en plus important dans le monde numérique - et c'est précisément là que La Poste Suisse offre la meilleure qualité. Les canaux et les technologies sont désormais physiques, numériques et mobiles. La Poste Suisse s'adapte aux besoins de ses clients et offre les meilleures solutions possibles. L'essentiel du service de La Poste Suisse doit donc rester en place. Les besoins de nos services seront probablement les mêmes, mais la façon dont nous les traiterons sera différente.
Retrouvez l'entretien original (en allemand) sur le site de la Netzwoche