La confiance dans l'innovation est en déclin, l'IA divise
Dans un climat de défiance grandissante envers toutes les expertises, une personne sur deux pense que les entreprises et les autorités gèrent mal l’introduction d’innovations, selon une vaste enquête auprès de 32’000 personnes dans le monde. L’IA en fait aussi les frais. Alors que les entreprises sont pressées d’innover et qu’elles jouissent d’un certain crédit, c’est aussi à elles de restaurer la confiance dans l’innovation.
«L’innovation est en péril». C’est le constat alarmant et le sujet principal de l’édition 2024 du baromètre de la confiance d’Edelman. Pour sa nouvelle étude à large-échelle, l’institut a sondé 32’000 personnes dans 28 pays. Dans la lignée des études précédentes, le baromètre montre que les institutions et les experts, dont les scientifiques, ne jouissent plus d’un surcroît de confiance, par rapport aux «personnes comme moi», y compris en matière d’innovation.
La tendance n’est pas sans lien avec les craintes des populations. A la peur de perdre son emploi (88% des sondés), s’ajoutent des craintes sociétales en lien avec les nouvelles technologies, comme le piratage informatique (75%) ou la guerre informationnelle (61%). En matière d’intelligence artificielle, seule la moitié des personnes interrogées font confiance aux entreprises pour «faire ce qui est juste». Par ailleurs l’IA divise: un tiers des sondés y adhère, un tiers s’y refuse - le rejet étant plus important chez les personnes plus âgées et celles ayant des revenus plus bas (graphiques 1 et 2).
L’innovation est mal gérée
Les sondés sont aussi deux fois plus nombreux à estimer que l’innovation est mal gérée. Ils n’ont pas confiance dans la manière dont les entreprises introduisent des innovations, ils doutent de la capacité des pouvoirs publics à règlementer efficacement les technologies émergentes, et ils soupçonnent la science de ne pas être indépendante. Et quand on n’a pas confiance dans la gestion de l’innovation, on rejette davantage l’IA (graphique 3).
Cette défiance quant à la capacité des institutions publiques et privées de bien gérer l’innovation a d’autres conséquences. Les personnes estiment aussi que les technologies et la société changent trop rapidement et d’une manière qui n’est pas bonne pour les gens comme eux, et que le système favorise les plus riches. Dans les pays occidentaux, la résistance à l’innovation est aussi politique. Aux Etats-Unis, 53% des sondés penchant à droite rejettent l’innovation, contre 12% à gauche.
Les entreprises peuvent agir
Les dirigeants d’entreprise se trouvent ainsi dans une situation paradoxale, constate l’institut Edelman. On attend d’eux qu’ils introduisent des innovations à une époque où l’innovation est devenue un sujet qui divise la société. «Cela devrait vous indiquer que votre enthousiasme à construire des choses que les gens achètent est peut-être un peu en décalage avec ce qu'ils attendent de vous - ou du moins avec la manière dont vous vous y prenez aujourd'hui», pointe Alex Thompson, Responsable Corporate Affairs & Impact chez Edelman.
Les grandes déclarations et professions de foi sur les bénéfices des technologies pour l’avenir de la planète et de l’humanité, dont sont coutumiers les dirigeants de la tech, risquent donc d’être au mieux inutiles, au pire de crisper encore davantage. Les entreprises sont cependant appelées à agir, sachant qu’elles restent l’institution à laquelle le public fait le plus confiance. Une large majorité des employés sondés estiment ainsi qu’il est important que le dirigeant de leur organisation s’exprime à propos du futur des compétences professionnelles (82%), de l’impact de l’automatisation sur les emplois (78%), ou de l’utilisation éthique de la technologie (79%).
Le baromètre d’Edelman relève par ailleurs des aspects sur lesquelles les entreprises peuvent travailler pour restaurer la confiance dans l’innovation. Il apparaît ainsi que les personnes adhèrent d’autant plus à une innovation - l’IA en particulier - s’ils peuvent contrôler la manière dont elle affecte leur vie.
Pour Alex Thompson les dirigeants seraient aussi bien avisés de faire preuve d’empathie (comprendre plutôt que pointer les réfractaires du doigt) et de caractère dans leurs arbitrages, ou quand il s’agit de stopper un projet qui inquiète. «Il faut du courage pour dire non ou pour changer de cap lorsque vous avez fixé un délai de livraison, mais la longévité et l'impact de l'innovation auront plus d'importance que le buzz initial lorsque vous regarderez en arrière dans dix ans», explique le responsable.