Facebook condamne l’outil utilisé par des chercheurs de Neuchâtel
Facebook semble s’inquiéter des recherches académiques consacrées à l'éventuelle nocivité des ses plateformes. Au point de faire supprimer des outils utilisés par des chercheurs. C’est la mésaventure vécue par des doctorants de l’Université de Neuchâtel.
Développeur britannique, Louis Barclay a récemment publié une tribune sur Slate.com relatant comment Facebook l’a banni de ses réseaux sociaux. Motif? L’outil Unfollow Everything, créé par l’informaticien et publié en juin 2020. Cette extension du navigateur Google Chrome permet d’automatiser la procédure de désabonnement de toutes les sources du fil d’actualité que les membres de Facebook voient sur leur page d'accueil. Unfollow Everything supprime donc toutes les mises à jour provenant de l'activité d’amis, de pages et de groupes suivis.
«Je me souviens encore de la sensation que j'ai ressentie lorsque j'ai tout supprimé pour la première fois. C'était presque miraculeux. Je n'avais rien perdu, puisque je pouvais toujours voir mes amis et groupes préférés en y accédant directement [...] Le temps que je passais sur Facebook a diminué de façon spectaculaire. Du jour au lendemain, ma dépendance à Facebook est devenue gérable», confie Louis Barclay dans sa tribune. Des possibilités qui n'ont apparemment pas du tout plu à l’entreprise de Mark Zuckerberg. Cet été, le développeur a finalement reçu de Facebook une lettre le menaçant d'une action en justice. En plus de désactiver définitivement ses comptes Facebook et Instagram, le groupe californien a exigé qu’il supprime Unfollow Everything et qu'il accepte de ne plus jamais créer d'outils interagissant avec ses services.
Doctorants empêchés de poursuivre leurs recherches
La suppression d’Unfollow Everything a eu des répercussions sur les travaux menés par Purohit Aditya Kumar et Kristoffer Bergram, chercheurs à l’Université de Neuchâtel. Ces derniers ont fait appel à l’outil afin d'étudier l'impact du fil d'actualité sur deux dimensions: le temps passé sur Facebook et le sentiment de bien-être des utilisateurs de la plateforme. Contactés par ICTjournal, les doctorants confient qu’ils prévoient toujours de publier les résultats basés sur les données obtenues avant la suppression de l’extension. Ils regrettent toutefois les agissements du géant de la tech, qui les empêchent de mener une étude de suivi sur l'échantillon d'utilisateurs étudié. Et, plus généralement, de poursuivre leurs recherches dans ce domaine.
Après les scandales en lien avec la protection des données, Facebook suscite toujours plus de critiques pointant du doigt la nocivité des ses plateformes. Si les dérives de l’économie de l’attention et la propension des géants du numérique à nous rendre accros à leurs services sont connues, la lanceuse d’alertes Frances Haugen a récemment jeté une lumière crue sur certaines de ces pratiques. Ex-employée du département d'intégrité civique de la firme, elle a fait fuiter des documents montrant, entre autres, que Facebook privilégient son profit au détriment de la protection des données utilisateurs et de l'éthique. La firme n’a en outre pas tenu compte de résultats d’études internes suggérant des effets néfastes de l’utilisation de ses plateformes. Facebook tente désormais de redorer son blason. Notamment en citant en exemple les valeurs de l’Union européenne et son rôle dans la régulation de l’internet.
Un cas non isolé
Facebook semble mettre des bâtons dans les roues de chercheurs universitaires, à en croire certains témoignages. Dont celui de chercheurs new-yorkais, qui ont vu leurs comptes supprimés alors qu’ils étudiaient comment la désinformation se propage sur le réseau. Les chercheurs de l'Université de Neuchâtel corroborent ce constat: ils ont remarqué que Facebook menace et empêche les chercheurs de mener leurs recherches sur ses plateformes. «Nous pensons qu'il est fort possible que la fonction Unfollow Everything ait été supprimée car elle constituait un outil puissant pour gérer l'utilisation de Facebook et était utilisée pour comprendre le fil d'actualité addictif de Facebook», font-ils observer. S’il ne peut affirmer que l’entreprise californienne savait que son outil était utilisé par des chercheurs, Louis Barclay précise à la rédaction que la page d'installation de l'extension indiquait clairement qu'elle était utilisée pour une étude. «Je ne sais pas pourquoi Facebook a agi de la sorte. Je doute que ce soit à cause du nombre d'utilisateurs, qui était faible (13’000 téléchargements et 2’500 utilisateurs actifs hebdomadaires», fait encore observer le développeur britannique.
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