Reto Savoia, Deloitte Suisse: «Dans cinq à dix ans, une grande part de nos sources de revenus aura changé»
La transformation numérique des entreprises profite aux firmes de consulting en même temps qu’elle les challenge. En entretien avec ICTjournal, Reto Savoia, CEO adjoint de Deloitte Suisse, explique comment sa société répond à ces bouleversements.
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Quel est l’impact de la digitalisation sur le secteur du conseil, par rapport à d’autres branches?
L’industrie des services professionnels n’échappe pas à la digitalisation. Le domaine du recrutement est particulièrement touché. D’une part, nos processus de recrutement sont de plus en plus numérisés. D’autre part, les profils recherchés par Deloitte changent. Nous avons besoin de collaborateurs possédant à la fois une affinité forte pour les technologies, et la capacité de prendre de la hauteur pour comprendre l’apport des technologies dans le business. Nous élargissons donc nos recherches: nous n’engageons plus uniquement des diplômés en droit ou en gestion, mais aussi des physiciens ou des biologistes. Le besoin de compétences pointues sur certains projets nous amène aussi de plus en plus à collaborer avec des sous-traitants et avec des firmes technologiques. Nous avons d’ailleurs une alliance mondiale avec Apple. Nous disposons de plus d’une plateforme de matching qui nous aide à trouver les spécialistes externes requis pour tel ou tel mandat.
Du côté de vos clients, ressentez-vous davantage de pression sur les tarifs et une demande de nouvelles formes d’engagement?
Absolument. La pression sur les prix a énormément augmenté dans notre branche. Il y a davantage de transparence et le numérique permet à des prestataires internationaux, par exemple en Inde, de proposer leurs services. Les clients recourent aussi à des prestataires de niche très spécialisés pour intervenir dans leurs projets. Avec la base de coûts de Deloitte et des autres grandes firmes de conseil, il est difficile de concurrencer des offres très standardisées. Nous devons donc à la fois gagner en efficience dans nos processus internes et proposer de nouveaux modèles d’engagement. En liant par exemple nos tarifs aux gains d’efficience obtenus par le client grâce à nos services, ce qui signifie une prise de risque par rapport au temps que nous investissons et un changement profond par rapport au modèle d’honoraires classique. Ou en développant de nouvelles sources de revenus avec des plateformes et solutions logicielles facturées en fonction du volume ou via des licences. Je suis convaincu que ce genre d’offre va continuer à se développer.
De plus en plus, des prestations de services et des savoir-faire sont justement standardisés et proposés sous forme logicielle. Que pensez-vous de cette évolution?
Ce sont des changements totalement disruptifs qu’il nous faut impérativement embrasser. Si je prends l’exemple de l’audit, il est aujourd’hui déjà grandement basé sur la technologie, avec des outils d’analytics et des frameworks qui livrent des résultats automatiquement. Ces services tendent donc à devenir des produits de commodité et il nous faut générer une plus-value autrement, davantage dans l’interprétation des résultats et dans les décisions qu’ils entraînent. Autre exemple, les déclarations fiscales : d’ici trois ans, elles seront entièrement automatisées et opérables par des centres d’excellence à l’étranger. Nous devons donc gagner de l’argent autrement. Je pense que dans cinq à dix ans, une grande part de nos sources de revenus aura changé.
Pensez-vous que le mandat avec un début et une fin va être remplacé par des engagements continus s’appuyant sur le numérique?
Tout à fait. Nous allons de plus en plus vers des modèles d’affaires basés sur des plateformes technologiques standard, avec certes des marges moins importantes mais avec l’avantage de l’échelle et d’une relation sur la durée permettant de vendre d’autres services. Il s’agit aussi pour nous de développer nos compétences technologiques pour offrir des prestations allant au-delà du conseil stratégique, en proposant par exemple des managed services dans le domaine de la règlementation financière, où il s’agit surtout d’automatiser les processus pour réduire les coûts. Nous allons y gagner en crédibilité. On ne peut plus aujourd’hui impressionner avec de beaux concepts: il faut apporter de la substance et démontrer que l’on est capable de délivrer.
Comment évaluez-vous la menace de start-up dans le domaine et, plus largement, l’évolution du marché du conseil?
Je pense que le marché va se consolider. La transformation numérique exige des investissements importants et il faut avoir l’échelle suffisante pour les rentabiliser. Les choses vont être difficiles pour les sociétés généralistes qui n’ont pas la taille suffisante. En ce qui concerne les start-up et autres spécialistes de niche, je pense que nous allons nous rapprocher, que ce soit via des joint ventures ou des acquisitions. Nous y gagnerons des compétences et elles y gagneront l’accès à notre clientèle.