Tribune d'Algorithmwatch CH

Le Conseil fédéral opte pour une réglementation timide de l'IA

par Dr. Angela Müller et Estelle Pannatier, AlgorithmWatch CH

Le Conseil fédéral veut réglementer l’Intelligence artificielle. La décision qu’il a prise le 12 février 2025 va dans la bonne direction, mais c’est un pas timide et peu ambitieux. Elle ne met pas les intérêts de la population, les droits fondamentaux, la démocratie et la durabilité au centre. Une tribune signée Algorithmwatch CH.

Les autrices de la tribune: Dr. Angela Müller (directrice d’AlgorithmWatch CH) et Estelle Pannatier (chargée de politique chez AlgorithmWatch CH).
Les autrices de la tribune: Dr. Angela Müller (directrice d’AlgorithmWatch CH) et Estelle Pannatier (chargée de politique chez AlgorithmWatch CH).

Les algorithmes et l’Intelligence artificielle (IA) sont de plus en plus utilisés, et les spéculations sur leurs chances et risques futurs sont nombreuses. Or, le développement et l’utilisation de ces systèmes ont déjà un impact réel sur les personnes et la société. Par exemple, lorsque des systèmes d’IA discriminent des personnes dans l’accès aux prestations sociales, comme cela s’est produit aux Pays-Bas, ou lorsque des systèmes d’IA générative sont intégrés dans des moteurs de recherche et produisent des contenus erronés, comme l’a montré une recherche d’AlgorithmWatch CH avant les dernières élections fédérales. Avec sa décision de principe du 12 février, le Conseil fédéral reconnaît que l'IA doit être réglementée pour protéger les droits fondamentaux. Mais une époque où la concentration du pouvoir entre les mains des géants de la tech et de leurs actionnaires atteint des niveaux inquiétants, il faudrait agir de manière plus déterminée.

Une bonne direction, mais des lacunes menaçantes et un manque de vision

Le Conseil fédéral entend ratifier la Convention sur l'IA du Conseil de l'Europe. C’est un signal important pour la protection et la promotion des droits humains, de la démocratie et de l'État de droit. Toutefois, il est à craindre qu'il n'aspire qu'à une mise en œuvre timide de la convention et limite au minimum les obligations des acteurs privés. Cela risque de créer des lacunes importantes dans la protection de nos droits fondamentaux, par exemple en ce qui concerne la protection contre la discrimination dans le recrutement et sur le lieu de travail, dans les assurances ou dans les examens de solvabilité. Il est aussi regrettable que la consommation des ressources et la durabilité de l'IA ne soient pas abordées par le Conseil fédéral. Des modèles d'IA toujours plus grands consomment toujours plus d'eau et d'énergie et contribuent ainsi fortement aux émissions globales de CO2.

Alors que les intérêts de la place économique et de l'innovation de la Suisse sont explicitement soulignés dans la décision, la vision qui garantirait aussi un bénéfice réel pour les personnes, la société et l'environnement fait défaut. Le Conseil fédéral rate une opportunité de faire preuve de clairvoyance en ce qui concerne l'IA et les entreprises sous-jacentes. De plus, les premiers projets de loi ne sont prévus que pour fin 2026. Ce calendrier n'est pas adapté aux défis actuels.

Quelle IA voulons-nous ? Prévenir les dommages et permettre des bénéfices pour toutes et tous

Si le Conseil fédéral veut faire en sorte que l'IA bénéficie à toutes et tous, il doit s'attaquer sérieusement aux défis sociétaux de cette technologie. Pour cela, il faut une stratégie globale qui tienne compte du contexte plus large et de l'économie politique de l’IA. Celle-ci doit d'une part s'attaquer aux effets négatifs de la technologie et, d'autre part, encourager les innovations orientées vers l'intérêt général. 

Une telle stratégie devrait inclure la réglementation des plateformes en ligne telles que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche que le Conseil fédéral prévoit de mettre consultation. Elle devrait également définir des mesures pour contrer la concentration du pouvoir de marché et d'opinion par des grandes entreprises. Des alternatives pour une IA orientée vers l'intérêt général, la promotion de la démocratie et la durabilité sont aussi essentielles. Pour cela, des infrastructures sont nécessaires et il faut promouvoir la recherche interdisciplinaire, un journalisme diversifié, l'éducation et les compétences démocratiques. 

L’IA doit être développée et utilisée de manière à profiter réellement à tous les êtres humains, et pas seulement aux intérêts de quelques-uns. C'est précisément dans des périodes comme celle-ci qu'il faudrait une plus forte volonté : nous devons prendre nos responsabilités et créer les conditions-cadres adéquates pour que la technologie favorise vraiment les droits fondamentaux et la démocratie. La balle est dans le camp de la politique.

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